Page:Hugo - La Légende des siècles, 1e série, édition Hetzel, 1859, tome 2.djvu/232

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Il s’impose à la nue ainsi qu’à l’onde un liége ;
La toile d’araignée humaine, un vaste piége
De cordes et de nœuds, un enchevêtrement
De soupapes que meut un câble où court l’aimant,
Une embûche de treuils, de cabestans, de moufles,
Prend au passage et fait travailler tous les souffles ;
L’esquif plane, encombré d’hommes et de ballots,
Parmi les arc-en-ciel, les azurs, les halos,
Et sa course, écheveau qui sans fin se dévide,
A pour point d’appui l’air et pour moteur le vide ;
Sous le plancher s’étage un chaos régulier
De ponts flottants que lie un tremblant escalier ;
Ce navire est un Louvre errant avec son faste ;
Un fil le porte ; il fuit, léger, fier, et si vaste,
Si colossal, au vent du grand abîme clair,
Que le Léviathan, rampant dans l’âpre mer,
A l’air de sa chaloupe aux ténèbres tombée,
Et semble, sous le vol d’un aigle, un scarabée
Se tordant dans le flot qui l’emporte, tandis
Que l’immense oiseau plane au fond d’un paradis.

Si l’on pouvait rouvrir les yeux que le ver ronge,
Oh ! ce vaisseau, construit par le chiffre et le songe,
Éblouirait Shakspeare et ravirait Euler !
Il voyage, Délos gigantesque de l’air,