Page:Hugo - La Légende des siècles, 2e série, édition Hetzel, 1877, tome 1.djvu/318

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Les autres arbres, fils du silence hideux,
Ont la terre muette et sourde au-dessous d’eux ;
Nous, transplantés dans l’air, plus haut que Babylone
Pleine d’un peuple épais qui roule et tourbillonne,
Et de pas, et de chars par des buffles traînés,
Nous vivons au niveau du nuage, étonnés
D’entendre murmurer des voix sous nos racines ;
Le voyageur qui vient des campagnes voisines
Croit que la grande reine au bras fort, à l’œil sûr,
A volé dans l’éden ces forêts de l’azur.
Le rayon de midi dans nos fraîcheurs s’émousse ;
La lune s’assoupit dans nos chambres de mousse ;
Les paons ouvrent leur queue éblouissante au fond
Des antres que nos fleurs et nos feuillages font ;
Plus d’une nymphe y songe, et dans nos perspectives
Parfois se laissent voir des nudités furtives ;
La ville, nous ayant sur sa tête, va, vient,
Se parle et se répond, querelle, s’entretient,
Travaille, achète, vend, forge, allume ses lampes ;
Le vent, sur nos plateaux et sur nos longues rampes,
Mêle l’horizon vague et les murs et les toits
Et les tours au frisson vertigineux des bois,
Et nos blancs escaliers, nos porches, nos arcades
Flottent dans le nuage écumant des cascades ;
Sous nos abris sacrés, nul bruit ne les troublant,
Vivent le martinet, l’ibis, le héron blanc
Qui porte sur le front deux longues plumes noires ;
L’air ride nos bassins, inquiètes baignoires