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SUPRÊME OMBRE, SUPRÊME AURORE.

les malades, dotait les filles, soutenait les veuves, adoptait les orphelins ; il était comme le tuteur du pays. Il avait refusé la croix, on l’avait nommé maire. Un forçat libéré savait le secret d’une peine encourue autrefois par cet homme ; il le dénonça et le fit arrêter, et profita de l’arrestation pour venir à Paris et se faire remettre par le banquier Laffitte, — je tiens le fait du caissier lui-même, — au moyen d’une fausse signature, une somme de plus d’un demi-million qui appartenait à M. Madeleine. Ce forçat, qui a volé M. Madeleine, c’est Jean Valjean. Quant à l’autre fait, vous n’avez rien non plus à m’apprendre. Jean Valjean a tué l’agent Javert ; il l’a tué d’un coup de pistolet. Moi qui vous parle, j’étais présent.

Thénardier jeta à Marius le coup d’œil souverain d’un homme battu qui remet la main sur la victoire et qui vient de regagner en une minute tout le terrain qu’il avait perdu. Mais le sourire revint tout de suite ; l’inférieur vis-à-vis du supérieur doit avoir le triomphe câlin, et Thénardier se borna à dire à Marius :

— Monsieur le baron, nous faisons fausse route.

Et il souligna cette phrase en faisant faire à son trousseau de breloques un moulinet expressif.

— Quoi ! repartit Marius, contestez-vous cela ? Ce sont des faits.

— Ce sont des chimères. La confiance dont monsieur le baron m’honore me fait un devoir de le lui dire. Avant tout la vérité et la justice. Je n’aime pas voir accuser les gens injustement. Monsieur le baron, Jean Valjean n’a point volé M. Madeleine, et Jean Valjean n’a point tué Javert.