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LES TRAVAILLEURS DE LA MER

Le flux, se gonflant sans bruit entre les deux Douvres, soulevait l’embarcation et l’approchait de la Durande. La marée était plus que vaincue, elle était domestiquée. L’océan faisait partie du mécanisme.

Le flot montant haussait la panse sans choc, mollement, presque avec précaution et comme si elle eût été de porcelaine.

Gilliatt combinait et proportionnait les deux travaux, celui de l’eau et celui de l’appareil, et, immobile au cabestan, espèce de statue redoutable obéie par tous les mouvements à la fois, réglait la lenteur de la descente sur la lenteur de la montée.

Pas de secousse dans le flot, pas de saccade dans les palans. C’était une étrange collaboration de toutes les forces naturelles, soumises. D’un côté, la gravitation, apportant la machine ; de l’autre, la marée, apportant la barque. L’attraction des astres, qui est le flux, et l’attraction du globe, qui est la pesanteur, semblaient s’entendre pour servir Gilliatt. Leur subordination n’avait pas d’hésitation ni de temps d’arrêt, et, sous la pression d’une âme, ces puissances passives devenaient des auxiliaires actifs. De minute en minute l’œuvre avançait ; l’intervalle entre la panse et l’épave diminuait insensiblement. L’approche se faisait en silence et avec une sorte de terreur de l’homme qui était là. L’élément recevait un ordre et l’exécutait.

Presque au moment précis où le flux cessa de s’élever, les câbles cessèrent de se dévider. Subitement, mais sans commotion, les moufles s’arrêtèrent. La machine, comme posée par une main, avait pris assiette dans la panse. Elle y