Page:Hugo - Les Travailleurs de la mer Tome II (1892).djvu/230

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
220
LES TRAVAILLEURS DE LA MER

le crâne avec ses stries, les vertèbres, les fémurs, les tibias, les longs doigts noueux avec les ongles. La cage des côtes était pleine de crabes. Un cœur quelconque avait battu là. Des moisissures marines tapissaient les trous des yeux. Des patelles avaient laissé leur bave dans les fosses nasales. Du reste il n’y avait dans ce recoin de rocher ni goëmons, ni herbes, ni un souffle d’air. Aucun mouvement. Les dents ricanaient.

Le côté inquiétant du rire, c’est l’imitation qu’en fait la tête de mort.

Ce merveilleux palais de l’abîme, brodé et incrusté de toutes les pierreries de la mer, finissait par se révéler et par dire son secret. C’était un repaire, la pieuvre y habitait ; et c’était une tombe, un homme y gisait.

L’immobilité spectrale du squelette et des bêtes oscillait vaguement, à cause de la réverbération des eaux souterraines qui tremblait sur cette pétrification. Les crabes, fouillis effroyable, avaient l’air d’achever leur repas. Ces carapaces semblaient manger cette carcasse. Rien de plus étrange que cette vermine morte sur cette proie morte. Sombres continuations de la mort.

Gilliatt avait sous les yeux le garde-manger de la pieuvre.

Vision lugubre, et où se laissait prendre sur le fait l’horreur profonde des choses. Les crabes avaient mangé l’homme, la pieuvre avait mangé les crabes.

Il n’y avait près du cadavre aucun reste de vêtement. Il avait dû être saisi nu.

Gilliatt, attentif et examinant, se mit à ôter les crabes de dessus l’homme. Qu’était-ce que cet homme ? Le cadavre