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LES TRAVAILLEURS DE LA MER

Pas une voile à l’horizon. Pas un fanal. L’eau à perte de vue était déserte.

Nulle assistance possible et nulle résistance possible.

Gilliatt, chose qu’il n’avait point éprouvée jusqu’à ce moment, se sentit désarmé.

La fatalité obscure était maintenant sa maîtresse. Lui, avec sa barque, avec la machine de la Durande, avec toute sa peine, avec toute sa réussite, avec tout son courage, il appartenait au gouffre. Il n’avait plus de ressource de lutte ; il devenait passif. Comment empêcher le flux de venir, l’eau de monter, la nuit de continuer ? Ce tampon était son unique point d’appui. Gilliatt s’était épuisé et dépouillé à le composer et à le compléter ; il ne pouvait plus ni le fortifier, ni l’affermir ; le tampon était tel quel, il devait rester ainsi, et fatalement tout effort était fini. La mer avait à sa discrétion cet appareil hâtif appliqué sur la voie d’eau. Comment se comporterait cet obstacle inerte ? C’était lui maintenant qui combattait, ce n’était plus Gilliatt. C’était ce chiffon, ce n’était plus cet esprit. Le gonflement d’un flot suffisait pour déboucher la fracture. Plus ou moins de pression ; toute la question était là.

Tout allait se dénouer par une lutte machinale entre deux quantités mécaniques. Gilliatt ne pouvait désormais ni aider l’auxiliaire, ni arrêter l’ennemi. Il n’était plus que le spectateur de sa vie ou de sa mort. Ce Gilliatt, qui avait été une providence, était, à la minute suprême, remplacé par une résistance inconsciente.

Aucune des épreuves et des épouvantes que Gilliatt avait traversées n’approchait de celle-ci.