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LES TRAVAILLEURS DE LA MER

il était toujours sombre, mais il n’était plus morne ; il lui revenait une certaine perception des faits et des évènements ; et il commençait à éprouver quelque chose de ce phénomène qu’on pourrait appeler la rentrée dans la réalité.

Ainsi, le jour, dans sa salle basse, il n’écoutait pas les paroles des gens, mais il les entendait. Grâce vint un matin toute triomphante dire à Déruchette que mess Lethierry avait défait la bande d’un journal.

Cette demi-acceptation de la réalité est, en soi, un bon symptôme. C’est la convalescence. Les grands malheurs sont un étourdissement. On en sort par là. Mais cette amélioration fait d’abord l’effet d’une aggravation. L’état de rêve antérieur émoussait la douleur ; on voyait trouble, on sentait peu ; à présent la vue est nette, on n’échappe à rien, on saigne de tout. La plaie s’avive. La douleur s’accentue de tous les détails qu’on aperçoit. On revoit tout dans le souvenir. Tout retrouver, c’est tout regretter. Il y a dans ce retour au réel toutes sortes d’arrière-goûts amers. On est mieux, et pire. C’est ce qu’éprouvait Lethierry. Il souffrait plus distinctement.

Ce qui avait ramené mess Lethierry au sentiment de la réalité, c’était une secousse.

Disons cette secousse.

Une après-midi, vers le 15 ou le 20 avril, on avait entendu à la porte de la salle basse des Bravées les deux coups qui annoncent le facteur. Douce avait ouvert. C’était une lettre en effet.

Cette lettre venait de la mer. Elle était adressée à mess Lethierry. Elle était timbrée Lisboa.