Page:Hugo - Les Travailleurs de la mer Tome II (1892).djvu/263

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
253
NUIT ET LUNE

toujours seule. Déruchette se couchait la dernière. Ce qui n’empêchait point Douce et Grâce d’avoir toujours un peu l’œil sur elle, par cet instinct de guet qui se mêle à la domesticité ; espionner désennuie de servir.

Quant à mess Lethierry, dans l’état voilé où était son esprit, ces petites altérations dans les habitudes de Déruchette lui échappaient. D’ailleurs, il n’était pas né duègne. Il ne remarquait même pas l’exactitude de Déruchette aux offices de la paroisse. Tenace dans son préjugé contre les choses et les gens du clergé, il eût vu sans plaisir ces fréquentations d’église.

Ce n’est pas que sa situation morale à lui-même ne fût en train de se modifier. Le chagrin est nuage et change de forme.

Les âmes robustes, nous venons de le dire, sont parfois, par de certains coups de malheur, destituées presque, non tout à fait. Les caractères virils, tels que Lethierry, réagissent dans un temps donné. Le désespoir a des degrés remontants. De l’accablement on monte à l’abattement, de l’abattement à l’affliction, de l’affliction à la mélancolie. La mélancolie est un crépuscule. La souffrance s’y fond dans une sombre joie.

La mélancolie, c’est le bonheur d’être triste.

Ces atténuations élégiaques n’étaient point faites pour Lethierry ; ni la nature de son tempérament, ni le genre de son malheur, ne comportaient ces nuances. Seulement, au moment où nous venons de le retrouver, la rêverie de son premier désespoir tendait, depuis une semaine environ, à se dissiper ; sans être moins triste, Lethierry était moins inerte ;