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NUIT ET LUNE

bas au point de tenter l’enjambée, le jardin des Bravées, et, à travers les branches d’arbres, deux fenêtres d’une chambre de la maison. Il retrouva sa pierre, sa ronce, toujours le mur aussi bas, toujours l’angle aussi obscur, et, comme une bête rentrée au trou, glissant plutôt que marchant, il se blottit. Une fois assis, il ne fit plus un mouvement. Il regarda. Il revoyait le jardin, les allées, les massifs, les carrés de fleurs, la maison, les deux fenêtres de la chambre. La lune lui montrait ce rêve. Il est affreux qu’on soit forcé de respirer. Il faisait ce qu’il pouvait pour s’en empêcher.

Il lui semblait voir un paradis fantôme. Il avait peur que tout cela ne s’envolât. Il était presque impossible que ces choses fussent réellement sous ses yeux ; et si elles y étaient, ce ne pouvait être qu’avec l’imminence d’évanouissement qu’ont toujours les choses divines. Un souffle, et tout se dissiperait. Gilliatt avait ce tremblement.

Tout près, en face de lui, dans le jardin, au bord d’une allée, il y avait un banc de bois peint en vert. On se souvient de ce banc.

Gilliatt regardait les deux fenêtres. Il pensait à un sommeil possible de quelqu’un dans cette chambre. Derrière ce mur, on dormait. Il eût voulu ne pas être où il était. Il eût mieux aimé mourir que de s’en aller. Il pensait à une haleine soulevant une poitrine. Elle, ce mirage, cette blancheur dans une nuée, cette obsession flottante de son esprit, elle était là ! Il pensait à l’inaccessible qui était endormi, et si près, et comme à la portée de son extase ; il pensait à la femme impossible assoupie, et visitée, elle aussi, par les chimères ; à la créature souhaitée, lointaine, insaisissable,