Page:Hugo - Les Travailleurs de la mer Tome I (1891).djvu/13

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corps-morts, grosses tours bariolées en pain de sucre, quadrillées de rouge et de blanc, mi-parties de noir et de jaune, chinées de vert, de bleu et d’orange, losangées, jaspées, marbrées, flottant à fleur d’eau ; on entend par endroits le chant monotone des équipes halant quelque navire, et tirant le tow rope.

Non moins que « les poissonniers », les laboureurs ont l’air content ; les jardiniers de même. Le sol, saturé de poussière de roche, est puissant ; l’engrais, qui est de tangue et de goëmon, ajoute le sel au granit ; d’où une vitalité extraordinaire ; la sève fait merveilles ; magnolias, myrtes, daphnés, lauriers-roses, hortensias bleus ; les fuchsias sont excessifs ; il y a des arcades de verbènes triphylles ; il y a des murailles de géraniums ; l’orange et le citron viennent en pleine terre ; de raisin point, il ne mûrit qu’en serre ; là, il est excellent ; les camélias sont arbres ; on voit dans les jardins la fleur de l’aloès plus haute qu’une maison. Rien de plus opulent et de plus prodigue que cette végétation masquant et ornant les façades coquettes des villas et des cottages.

Guernesey, gracieuse d’un côté, est de l’autre terrible. L’ouest, dévasté, est sous le souffle du large. Là, les brisants, les rafales, les criques d’échouage, les barques rapiécées, les jachères, les landes, les masures, parfois un hameau bas et frissonnant, les troupeaux maigres, l’herbe courte et salée, et le grand aspect de la pauvreté sévère.

Li-Hou est une petite île tout à côté, déserte, accessible à mer basse. Elle est pleine de broussailles et de terriers. Les lapins de Li-Hou savent les heures. Ils ne sortent de