Page:Huguenin (Madeleine) - Anne Mérival, La Revue Moderne Oct-Nov-Déc 1927.djvu/24

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Elle venait de comprendre que de la réussite prochaine du fiancé dépendrait tout leur avenir. Si elle ne rentrait pas, cet été, à Clair-Ruisseau, pour toujours, jamais, elle ne consentirait à s’y exiler.

Des sueurs perlaient au front de la jeune fille. Elle les essuya d’un geste rapide, et se remit à écrire… Mais les mots ne venaient plus. Anne pensait à son pauvre petit roman à elle, et une envie folle de pleurer la serrait à la gorge. Elle sentit qu’il lui devenait impossible de travailler, et soigneusement elle réunit ses feuillets, les glissa dans un tiroir et se mit à lire des lettres. C’était une de ses meilleures distractions que la lecture des missives qui, chaque jour, venaient à la journaliste ; quelques-unes simplement gentilles, d’autres insignifiantes, mais touchantes quand même dans leur naïve confiance ; d’autres enfin qui s’offraient à sa fine psychologie et l’intéressaient prodigieusement. À ceux qui lui demandaient : « Vous n’êtes pas ennuyée de toutes ces lettres », elle avait l’habitude d’expliquer le bien qu’elle retirait de cet échange d’impressions avec ses lectrices, et quelle joie lui donnaient des affections dont elle pouvait mesurer la sincérité, par leur parfait désintéressement.

Une voix l’arracha à sa lecture :

— Vous n’êtes pas fatiguée. Mademoiselle Anne, et vous ne déjeunez donc pas aujourd’hui ? Savez-vous qu’il est tout près d’une heure ?

Non, Anne ne savait pas. Elle avait tant voyagé, ce matin, la pauvrette, qu’elle en avait perdu la notion du temps. Elle sourit doucement au camarade qu’elle estimait le plus profondément, et dont les conseils venaient souvent au secours de ses inexpériences du métier. Henri Daunois admirait cette petite fille frêle et vaillante, arrivée parmi eux dans la grâce de ses vingt ans, et il s’attendrissait à constater la confiance qu’instinctivement elle avait tout de suite tournée vers lui. Elle ne savait rien de sa vie, sinon qu’il venait d’une ville voisine et qu’il avait du talent, énormément de talent. Lui, ne savait d’elle que son sourire, que déjà il comprit combien il pourrait l’aimer. Ce travailleur austère, qui avait des idées et des habitudes ascétiques, s’émouvait à regarder Anne passer à travers le grand bureau de rédaction avec le bonjour sur les lèvres. Elle lui faisait l’effet d’une fée rieuse qui distribuerait de la joie à tous les pauvres qui tendraient la main. Elle allait plus volontiers vers lui, s’arrêtait à causer, écoutait l’article du jour que le prote