Page:Huguenin (Madeleine) - Anne Mérival, La Revue Moderne Oct-Nov-Déc 1927.djvu/25

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tantôt réclamerait, lisait volontiers sa copie à elle et, toute fraternelle, regardait jusqu’au fond des yeux violets où se perdait le reflet vert de son regard à elle. Henri Daunois avait cru accepter une petite sœur ; il sentit bientôt que d’elle il voulait toute la vie. Saurait-il le lui dire ? Il attendait. Peut-être plus tard, quand il serait sûr de ne pas effaroucher la petite fille qui si volontiers faisait de lui son ami. Ne lui avait-elle pas dit, maintes fois, combien elle aurait été heureuse d’avoir un frère qui lui ressemblât. Le jeune homme voulait bien attendre. Il n’était pas de ceux qui commandent au destin, mais il avait foi en son amour.

Anne se hâtait de tout remettre en ordre sur sa table. Et de la petite main qui fourrageait vivement parmi les paperasses, Henri s’empara, l’emprisonna un moment dans la sienne, et regardant Anne attentivement, il demanda :

— Vous êtes toute pâle, ce matin… Malade ? Fatiguée ?… Triste ?…

— Triste ! lui répondit-elle, sans détourner son regard.

Il ne questionna plus, mais ses yeux l’enveloppèrent d’une sympathie si chaude qu’Anne eut soudain la clarté de ce qui se passait en son cœur, et, d’un geste rapide, elle retira sa main.

— Vous m’attendez, n’est-ce pas ? Je file avec vous.

L’habitude leur était venue de cheminer ensemble vers leur pension respective. Ils aimaient ces minutes de causeries le travail se racontait, où des projets s’ébauchaient, où le passé se narrait un peu… C’est ainsi qu’il lui avait livré de sa vie sentimentale. Une cousine aimée chèrement, puis morte toute jeune encore ; il laissait deviner qu’il avait un autre sentiment, mais n’osait rien dire de plus. Anne imaginait qu’il avait un amour au cœur, et elle respectait ce secret tout comme elle gardait le sien. Il aurait bien voulu entendre l’histoire de sa vie, savoir si elle aimait, si elle avait souffert, elle aussi, tout comme lui ; mais Anne ne disait jamais rien de son amour. Sa pudeur se serait effarouchée de tels aveux, et Henri ne sut pas deviner ce sentiment. Il rêva alors d’éveiller ce jeune cœur à la vie.

— Vous ne savez pas — fit Anne se rappelant soudain le petit carton reçu le matin. — Voilà que l’on m’invite dans le grand monde, et pour une réception du soir, s’il vous plaît…

Elle riait, gamine, et lui s’amusait de cette gaieté.