Page:Huguenin (Madeleine) - Anne Mérival, La Revue Moderne Oct-Nov-Déc 1927.djvu/51

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de sa reine. Il dépeignit la grande misère des femmes et des enfants assaillis et violentés, et quand il parla des petites mains que l’on coupait aux bébés belges, un sanglot monta de la salle bouleversée. Enfin, il traça admirablement le devoir de l’humanité pensante.

— C’est un grand orateur, chuchota Claire Benjamin, tandis qu’Anne pensait : C’est surtout un grand cœur !

Au moment où il terminait, Paul Rambert aperçut Anne, et un éclair joyeux flambait dans le regard dont il l’enveloppa.

L’élection d’un conseil suivit immédiatement. Élu président, Rambert interpella Anne pour lui demander d’être l’une des secrétaires du nouveau comité. Elle eut un simple geste pour accepter le rôle qu’on lui destinait, et quand elle regarda Claire Benjamin, celle-ci, souriante, lui dit :

— Vous avez bien fait d’accepter. D’abord ce sera un plaisir de travailler avec un président tel que celui-là, et cela vous tiendra constamment occupée

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— Mademoiselle ma secrétaire, nous allons nous mettre tout de suite à l’œuvre !

Anne rougit violemment. Elle n’avait pas vu venir Rambert, et son émoi était visible. Ils parlèrent rapidement de la tâche qu’ils accompliraient ensemble et fixèrent la prochaine séance de travail. Il la regardait attentivement et vit qu’elle avait pleuré. Il fut touché de cet hommage plus que de n’importe quel succès.

Anne, en se retrouvant seule, dans sa petite chambre, se livra à la joie insensée qui venait de jaillir en elle. Comme elle l’aimait pourtant, puisque sa seule présence avait chassé le souvenir de Jean, et qu’elle n’avait pas un remords de déserter sitôt celui qui allait peut-être mourir parce qu’elle n’avait plus su l’aimer… Était-ce sa faute, après tout ? Elle n’avait jamais demandé à un tel amour de l’envahir ; il avait pris possession de son être, sans même qu’elle s’en doutât ; et maintenant, pour le garder, elle sentait qu’elle passerait au travers de tous les obstacles, qu’elle endurerait toutes les douleurs. Heureuse à la pensée qu’elle le reverrait demain, elle s’endormit, en refermant ses deux bras sur le cœur joyeux où elle avait enfermé son adoré.

Le lendemain la trouva tôt levée et vite rendue au travail. Elle trouva ses camarades tristes et consternés. Les dépêches annonçaient des désastres continuels, la Belgique saccagée, la France mutilée et l’avance sur Paris, Paris où le Kaiser avait juré de déjeuner dès le début de septembre… Les mots glissaient sur Anne ; il semblait qu’elle ne pût accepter la certitude d’un malheur, et elle affirma aux alarmistes, avec une belle sérénité :

— Cela ne fait rien, les Français doivent gagner ; ils gagneront. Laissez faire… attendez… vous verrez…

L’un de ses camarades, énervé, lui jeta :

— Vous êtes agaçante, Mademoiselle Mérival, avec votre optimisme. Ne sentez-vous pas que la partie est perdue, et que la France est fichue !

— Fichue, la France, ce n’est pas vrai ! fit Anne avec véhémence, en toisant le jeune rédacteur abasourdi. Quand tout le monde dirait que la France est battue, vous m’entendez, moi, je ne le croirais pas ! Il ne faut pas songer un instant qu’une pareille chose puisse être vraie ! Et vous, Godon, en tisonnant ainsi nos inquiétudes, vous vous faites et vous nous faites du mal…

— Bien dit ! lui cria Bouliane de son coin. Il faut avoir du nerf, que diable ! et ne pas s’affoler ainsi aux premiers revers. Je pense comme Mademoiselle Mérival : la France ne sera pas battue, parce qu’elle ne peut pas être battue. Voilà tout, mais c’est assez ! Et maintenant, les gâs, abattez-moi de la besogne et rondement. Lévesque, à vos dépêches ! Et vous, Daunois, votre article, et optimiste, hein ?