Page:Huguenin (Madeleine) - Anne Mérival, La Revue Moderne Oct-Nov-Déc 1927.djvu/52

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Daunois regardait Anne avec admiration :

— Il n’y pas à dire, vous êtes une vaillante ! Vous venez de ranimer tout le monde, voyez-les !

En lui-même, il pensait que, pour avoir autant de foi, il fallait qu’Anne fût heureuse, et si elle était heureuse, c’est qu’elle avait revu Rambert…


XIII


Les mois passaient. Anne travaillait, chaque jour, avec Rambert, soit dans une œuvre, soit dans l’autre. En les voyant si assidus à la tâche et si unis dans leur dévouement, il arriva que plus d’un conclut à une entente encore plus profonde, celle qui noue les âmes indissolublement. Mais le respect entourait ces deux êtres de talent et de courage qui donnaient l’exemple du sacrifice et de la vaillance. Les jours passaient dans un travail acharné. De comité en comité, Anne promenait son ardeur infatigable. Elle rédigeait pour son journal des articles optimistes et sentis. À côté des œuvres de guerre de plus en plus nombreuses, les œuvres locales appelaient son aide, et ce fut dans un vrai tourbillon de charité que l’année se passa, assombrie souvent par les sinistres nouvelles des champs de bataille, éclairée parfois par la nouvelle d’une grande victoire qui, suivant celle de la Marne, faisait pressentir qu’à la longue, «  on les aura », ces féroces ennemis qui semaient sur leur route les horreurs renouvelées et aggravées des temps les plus reculés de la barbarie… Plusieurs régiments canadiens étaient déjà partis. Ils étaient maintenant sous les ordres de l’Amirauté anglaise. Les lettres se faisaient de plus en plus tristes. Embourbés dans les champs de boue de Salisbury, nos soldats passaient une pénible période d’entraînement, et les Canadiens-Français écrivaient : « Comme nous serons heureux, le jour où nous pourrons nous battre, et mourir s’il le faut pour la France ».

Un sourd mécontentement régnait. De sentir malheureux les braves qui avaient fait le beau geste de partir librement, toute la population se sentait opprimée. Personne ne comprenait ce campement malsain de Salisbury, et l’élan spontané de notre race en fut singulièrement entravé. Anne comprenait combien Jean avait su choisir. Maintenant, il n’était plus possible de tenter l’enrôlement dans les unités françaises, mais le ministre de la guerre autorisait la création de régiments canadiens-français, et plusieurs s’organisèrent aussitôt qui devaient plus tard renouveler, en se fondant dans le 22e Régiment, les forces de cet admirable bataillon, qui fut si souvent à l’honneur.

Les nouvelles de France arrivaient chaque semaine. Jean avait retrouvé Henriette dont il vantait la force de caractère. Il la comparait à tant d’hommes qui, à la première alarme, avaient quitté les écoles où ils apprenaient leur art et avaient hâtivement regagné leur pays de crainte de se battre ou même de souffrir au cas d’un siège qui affamerait Paris. Henriette, vaillante, avait voulu, elle aussi, servir. « Elle est tout bonnement admirable. Elle donne ses services dans une ambulance et il faut la voir travailler, le jour, la nuit, aussi longtemps que l’on a besoin d’elle… Sollicitée de partir, elle a donné à tous ces fuyards qui prétendaient aimer la France, l’exemple de ce que c’est qu’aimer. On la voit auprès des réfugiés, et si pitoyable, si généreuse, si comprenante. Elle donne plus qu’elle ne devrait, je le crains. Vous ne savez pas de quel secours elle m’est à moi-même. Elle n’est plus la jeune fille un peu distante et distraite que nous avons connue. Elle va de l’avant maintenant, et ceux qui souffrent trouvent le chemin de son cœur si chaud et si tendre ».

De son côté, Henriette, dans ses longues lettres à Claire Benjamin, comme à Anne vantait le courage et la conduite de Jean :

« Ces deux êtres-là sont en parfaite harmonie ». avait déclaré Claire, et peut-être trouverez