Page:Huguenin (Madeleine) - Anne Mérival, La Revue Moderne Oct-Nov-Déc 1927.djvu/53

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

-vous, petite Anne, dans cette entente la libération qui vous fera heureuse.

— Jean et moi avions formé des projets, mais ce n’est ni lui ni moi qui n’avons pas voulu, Claire, c’est mon cœur qui s’est détaché tout doucement…


— Il n’en pas moins vrai que vous hésitez à aller vers l’amour qui vous sollicite.

— Je n’hésite pas, Claire, et si Rambert me disait tantôt qu’il m’aime, je tomberais dans ses bras. Je suis à bout de force et de courage ! Je l’aime à ne voir et n’entendre que lui. J’ai honte de l’avouer, mais si triste que soit la vie, elle m’apparaît resplendissante lorsqu’il est là, et lorsque le son de sa voix me fait vibrer. À quoi j’obéis ? Le sais-je ? À l’attraction qui fait que deux êtres se recherchent ? Avant de le connaître, j’ignorais l’amour, car j’appelais l’amour cette bonne et sincère tendresse que m’inspirait Jean. Mon Dieu, comme tout cela n’est rien, Claire, à côté du sentiment qui aujourd’hui m’emporte… Je n’étais alors qu’une petite fille… Maintenant, lorsque la main de Paul se pose sur la mienne, je me sens une femme, au feu qui coule dans mes veines, et à l’éblouissement qui m’affole… Et si je devais être séparée de lui, je n’y résisterais pas…

Les beaux yeux expressifs de Claire Benjamin s’étaient voilés. Elle dit doucement, presque bas :

— Anne, est-ce que vous ne savez pas que Rambert a demandé à servir, et que le Ministre doit lui accorder bientôt une commission pour lever un régiment, dont il aura le commandement ?

Elle s’arrêta, car Anne, livide, s’était écrasée à ses pieds.

— Ma petite, ma petite Anne, je vous en prie, soyez raisonnable. S’il n’a pas osé vous avouer son départ, c’est qu’il vous aime, et qu’il a peur de votre chagrin…

Elle la dorlotait tendrement comme si elle, avait été une maman, trouvant dans son cœur sincère les mots qui apaisent. Sous ses caresses et ses paroles, la douleur de la jeune fille se calmait, et son espoir remontait :

— La guerre finira avant qu’il ne parte, Claire, il faut que la guerre finisse…

Et Claire, en la serrant tout contre elle, répétait :

— Oui, la guerre finira… il faut qu’elle finisse !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

La sonnerie du téléphone retentit impérieuse. Claire, sur un geste d’Anne, s’empressa :

— C’est vous, Daunois ?… Oui, Claire… vous voulez parler à Anne… Non… c’est moi que vous cherchiez… Hein ?… oui… Un accident d’auto… Où cela ?… Un camion oui… sur la route de Sainte-Rose… oui… à l’hôpital… Rien de grave… Oui, oui, merci, Daunois, vous êtes un merveilleux ami, merci… au revoir.

Pendant ce colloque, Anne s’était dressée, et Claire ne put dissimuler. Elle comprit qu’il était nécessaire de tout dire :

— Oui, en revenant d’une assemblée à Sainte-Rose, la voiture de Rambert a été frappée par un camion. Le chauffeur, tué sur le coup. Rambert n’est que légèrement blessé… Je vous jure, Anne, qu’il a dit légèrement… Soyez courageuse, je vous en prie puisqu’il n’est pas en danger…

Ce ne fut pas Paul Rambert qui mourut.


XIV


« Là-bas, sur la terre de France, un grand soldat s’est endormi dans l’immortel sacrifice. Une petite croix de bois marquera la place où il est tombé, une petite croix qui portera son nom : Jean Deschâtelets. Il s’est battu comme un preux. Tout le sang des soldats qu’il portait en ses veines, il l’a versé pour la justice