Page:Huysmans - Croquis parisiens.djvu/155

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bouche ; enfin, l’un de ces bourgeons, lumineux et comme enduit d’une huile phosphorée, creva, s’arrondissant en une pâle tête qui se balança silencieuse sur la nuit des eaux.

Une douleur immense et toute personnelle émana de cette livide fleur. Il y avait dans l’expression de ses traits, tout à la fois du navrement d’un pierrot usé, d’un vieux clown qui pleure sur ses reins fléchis, de la détresse d’un antique lord rongé par le spleen, d’un avoué condamné pour de savantes banqueroutes, d’un vieux juge tombé, à la suite d’attentats compliqués, dans le préau d’une maison de force !

Je me demandais de quels maux excessifs cette face blafarde avait pu souffrir et quelle solennelle expiation la faisait rayonner au-dessus de l’eau, comme une bouée éclairée, comme un fanal annonçant aux passagers de la Vie les lamentables brisants cachés sous l’onde qu’ils allaient sillonner en cinglant vers l’Avenir !

Mais je n’eus même point le temps de discerner la réponse qu’il importait de faire à cette question que je me posais. L’effroyable fleur d’ignominie et de souffrance, le fantastique et vivant nelumbo s’était fané et son nimbe phosphorique s’était éteint. Au pâle avoué, à l’exsangue clown, au blême lord, s’était substituée une vision non moins horrible.