Page:Huysmans - Croquis parisiens.djvu/20

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le blanc jupon qui se roule sous la queue de l’étoffe. L’on hennit, en suivant le travail de ces dos de femmes se coulant entre les poitrines d’hommes qui, venant en sens inverse, s’ouvrent et se referment sur elles, laissant entrevoir, par les interstices des têtes, des derrières de chignons, allumés de chaque côté par le point d’or d’un bijou, par l’éclair d’une pierre.

Puis, cet inépuisable quart, sans cesse battu par les mêmes femmes, vous lasse et l’on dresse l’oreille à la rumeur qui, se levant de la salle, salue, l’entrée du chef d’orchestre, un grand maigre connu par ses polkas de barrière et par ses valses. Une salve d’applaudissements part des pourtours du haut et du bas des loges où des blancheurs suspectes de femmes s’entrevoient dans la pénombre ; le maëstro s’incline, relève son chef coiffé d’une tête de loup, ses moustaches de chinois poivre et sel, son nez chaussé d’un binocle et, le dos tourné à la scène, il conduit en habit noir et cravate blanche, remuant tranquillement de la musique, ennuyé et comme pris de sommeil, puis tout à coup, se tournant vers les cuivres, il tient son bâton ainsi qu’une ligne, pêche le coup de gueule de la reprise, extrait d’un geste sec des notes comme on arrache des dents, bat l’air en haut et en bas, pompe enfin de la mélodie comme on pompe d’une machine à bière.