Page:Huysmans - En menage - ed Fasquelle 1922.djvu/134

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cachait les papiers qu’il gribouillait dès qu’on ouvrait la porte et se sauvait de bonne heure. Celui-là devait travailler au dehors et être célibataire, à en juger par sa hâte à déguerpir, par les cure-dents de gargote qu’il mâchonnait tout en écrivant.

Et au-dessous et au-dessus de lui, du haut en bas du Ministère, par les hautes fenêtres du premier, par les croisées plus basses des autres étages, par les lucarnes étranglées du faîte, André voyait des hommes pareils fumant, écrivant, lisant des journaux, virant et tournant, accouplés dans des pièces semblables.

Puis, il se fatiguait à contempler l’ennui de ces malheureux et, se penchant sur la balustrade de sa terrasse, il plongeait au loin, enfilait d’un coup d’œil toute la rue qui arborait une allure de bourgade lointaine avec son rond-point, triste comme la petite place d’une Sous-Préfecture de dernière classe ; ici et là, près d’un dépôt de voitures que surveillait un vieillard boiteux, des cuisiniers d’hôtels bâillaient dans leurs casaques blanches, échangeaient le bonjour avec des cochers en train de donner l’avoine, avec des marmitons embusqués derrière le grillage des croisées de cuisine, avec le commissionnaire en vedette sur le seuil du marchand de vins.

Morne, le matin, et déserte le soir, la rue Cambacérès ne commençait à s’animer que vers les onze heures. Alors une chaîne de garçons de bureau, portant des mazagrans et des carafons de cognac, des œufs sur le plat, des bouteilles cachetées, des assiet-