Page:Huysmans - En menage - ed Fasquelle 1922.djvu/195

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Lorsqu’elle servit le déjeuner, André se plongea le nez dans un livre. Elle apporta, silencieuse, les plats, enragée d’être tenue à distance, considérant comme un affront personnel le mutisme de son maître. Elle voulut lui desserrer quand même les dents et lorsqu’elle apporta le café, elle demanda si monsieur avait le temps de compter.

Il l’aurait volontiers envoyée à tous les diables. Il leva cependant les yeux de son volume, la vit, droite devant lui, tenant à la main un cahier de classe, à couverture marbrée de violet et de noir, gonflé au milieu par un crayon blanc posé en travers, un de ces crayons à un sou, taillés avec un couteau de table et dont la mine casse dès qu’on l’appuie et ne marque même pas lorsqu’on la mouille.

Il tendit la main, prit le cahier et, maugréant, il additionna laborieusement les chiffres.

— Je crois que cette note-ci n’est pas marquée, interrompit la bonne, en lui mettant sous le nez une facture de viande.

Il grommela, perdant le fil de ses chiffres. Il dut les laisser, feuilleter les pages, parcourir les articles déjà inscrits, chercher dans les mots bizarrement orthographiés qui zigzaguaient, les uns sous les autres, si le bœuf figurait parmi les dépenses ; il y était.

— Mais, certainement qu’il est marqué ! cria-t-il, furieux.

— Ah bien, reprit Mélanie, très calme, époussetant une pluche nichée sur son caraco, je pensais que mon mari l’avait oublié !