Page:Huysmans - En menage - ed Fasquelle 1922.djvu/45

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Il demanda au patron qui jubilait d’une façon stupide, s’il avait un journal. Le Siècle était en mains. On lui apporta les Petites Affiches. Il essaya de s’absorber dans cette lecture, de s’isoler de la joie de ces tables, de se boucher les oreilles aux jacasses stridentes de ces imbéciles ; il les entendait quand même. Il se força à lire trois pages de cette feuille, s’arrêta devant une annonce qui offrait comme une occasion superbe, par suite d’une liquidation de famille, une dot de dix-huit mille francs et une orpheline ; il resta pensif. Le mot pressé qui figurait entre parenthèses, au bas de cette réclame, déroula devant lui des perspectives infinies d’ordures. Il y vit de courtes échéances d’accouchements, des ventres grossis après un mois de mariage. Il songea aux déboires qu’éprouverait avec cette orpheline l’honnête benêt qui se laisserait happer. Celui-là avait des chances d’épouser une vierge qui aurait longuement turpidé dès son bas âge ! et il pensait : c’est déjà si difficile de n’être pas berné quand on connaît la famille et que l’on a vécu, pendant des mois, avec sa fiancée. Qui aurait jamais pu croire que sa femme à lui l’aurait trompé ? Une fois de plus, il était revenu au point de départ de ses pensées, aux misères de son ménage. Il voulut, à tout prix, secouer ces souvenirs. Il se contraignait maintenant à regarder ses voisins, à les écouter.

Un fausset aigu lui vrillait l’oreille. Le coiffeur était parti, sans même qu’il s’en fût aperçu. Un monsieur qui avait au-dessus d’une barbe rouge un nez