Page:Huysmans - En menage - ed Fasquelle 1922.djvu/54

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par des toitures en zinc, frappées de lumière.

Aucun promeneur sur la terrasse. À cent pas environ, des fillettes d’ouvriers sautaient à la corde, le chapeau tombé en arrière et retenu au cou, par un élastique. Elles criaient : « Anaïs, du vinaigre ! du vinaigre ! » et montraient sous leurs jupes relevées, de petits mollets blancs et des pieds très longs.

— Voilà, murmurait André, les yeux fixés sur les cailloux ; c’était le temps où l’on recevait dix sous de sa famille, par semaine, afin d’acheter chez le concierge du bahut, des suçons ou du chocolat ; le temps où, les jours de promenade, le jeudi, lorsqu’on faisait halte sur cette terrasse, l’on n’entamait plus de parties de visa, pour parler des femmes. Ça nous met joliment loin, dis-donc ?

— Près de vingt-cinq ans en arrière, répondit Cyprien. Ce n’est pas d’aujourd’hui que nous nous connaissons, hein ? Je te vois encore arriver à la pension. Tu pleurais comme une madeleine ; – tu n’étais pourtant pas à plaindre, toi ; tu avais une famille qui assiégeait sans arrêt le parloir ; presque tous les dimanches tu lâchais le bazar. Moi, j’étais régulièrement collé. Dieu de Dieu ! j’ai froid dans le dos, lorsque je songe à la tristesse de la cour, vide ce jour-là, au navrement sans borne de l’étude, avec le pion vautré dans sa chaire, embêté, maussade, rêvant à des ribotes de billards et de petits verres, se vengeant de ses ennuis sur nous, nous empêchant de sortir quand on levait la main pour aller aux lieux !

— Ah bien, reprit André, si tu t’imagines que les jours