Page:Huysmans - En rade.djvu/174

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accaparait tout le domaine de son esprit par la force de l’idée nette. Il comprenait que, depuis trois ans qu’ils étaient mariés, aucun des deux ne se connaissait.

Lui, parce que, malgré ses recherches, il n’avait pas eu l’occasion de sonder sa femme dans un de ces moments où les tréfonds de l’âme surgissent ; elle, parce qu’elle n’avait jamais eu besoin, dans le placide milieu d’une ville, d’un défenseur.

Jacques voyait assez clair en eux, à cette heure, pour apercevoir la réciprocité de leurs mésestimes. Il découvrait chez Louise une âpreté héréditaire de paysanne, oubliée à Paris, développée par le retour dans l’atmosphère du pays d’origine, hâtée par les appréhensions d’une pauvreté soudaine. Elle, trouvait subitement chez son mari une défaillance nerveuse, une de ces faiblesses d’âme fine dont le mécanisme en émoi est odieux aux femmes.

Et loin de ses peurs puériles et de ses songes creux relégués d’un coup, Jacques pensa mélancoliquement à cette solitude qui, semblable à un iodure, faisait sortir les boutons de leur maladie spirituelle, secrète, et les rendait visibles, inoubliables à jamais, l’un pour l’autre.