Page:Huysmans - En route, Stock, 1896.djvu/21

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une seule gerbe, sur le même autel ; tout cela se conciliait en une touffe de pensées unique : révérer, adorer, servir le Dispensateur, en lui montrant, réverbéré dans l’âme de sa créature, ainsi qu’en un fidèle miroir, le prêt encore immaculé de ses dons.

Alors, dans cet admirable Moyen Age, où l’art, allaité par l’Eglise, anticipa sur la mort, s’avança jusqu’au seuil de l’éternité, jusqu’à Dieu, le concept divin et la forme céleste furent devinés, entr’aperçus, pour la première et peut-être pour la dernière fois, par l’homme. Et ils se correspondaient, se répercutaient, d’arts en arts.

Les Vierges eurent des faces en amandes, des visages allongés comme ces ogives que le gothique amenuisa pour distribuer une lumières ascétique, un jour virginal, dans la châsse mystérieuse de ses nefs. Dans les tableaux des Primitifs, le teint des saintes femmes devient transparent comme la cire paschale et leurs cheveux sont pâles comme les miettes dédorées des vrais encens ; leur corsage enfantin renfle à peine, leurs fronts bombent comme le verre des custodes, leurs doigts se fusèlent, leurs corps s’élancent ainsi que de fins piliers. Leur beauté devient, en quelque sorte, liturgique. Elles semblent vivre dans le feu des verrières, empruntant aux tourbillons en flammes des rosaces la roue de leurs auréoles, les braises bleues de leurs yeux, les tisons mourants de leurs lèvres, gardant pour leurs parures les couleurs dédaignées de leurs chairs, les dépouillant de leurs lueurs, les muant, lorsqu’elles les transportent sur l’étoffe, en des tons opaques qui aident encore par leur contraste à attester la clarté séraphique du regard, la dolente candeur de la bouche que parfume, suivant le Propre du Temps, la senteur de