Page:Huysmans - En route, Stock, 1896.djvu/215

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L’œuvre de cet oratorien était pour le moins bizarre. Les pages bouillonnaient, coulaient en tumulte, charriant de grandioses visions telles qu’en conçut Hugo, développant des perspectives d’époques, telles que Michelet en voulut peindre. Dans ce volume, s’avançait la solennelle procession du précieux Sang, partie des confins de l’humanité, de l’origine même des âges, et elle franchissait les mondes, débordait sur les peuples, submergeait l’histoire.

Le P. Faber était moins un mystique proprement dit qu’un visionnaire et qu’un poète ; malgré l’abus des procédés oratoires transférés de la chaire dans le livre, il déracinait les âmes, les emportait au fil de ses eaux, mais lorsqu’on reprenait pied, lorsqu’on cherchait à se souvenir de ce qu’on avait entendu et vu, l’on ne se rappelait plus rien ; l’on finissait, en réfléchissant, par se rendre compte que l’idée mélodique de l’œuvre était bien filiforme, bien mince pour être exécutée par un aussi fracassant orchestre ; puis il restait de cette lecture quelque chose d’intempérant et de fiévreux qui vous mettait mal à l’aise et faisait songer que ce genre d’ouvrages n’avait que de bien lointains rapports avec la céleste plénitude des grands mystiques !

Non ! pas celui-là, fit Durtal. Voyons, rentrons notre récolte : je retiens le petit recueil de Ruysbroeck, la « Vie d′Angèle de Foligno » et « saint Bonaventure », et le meilleur de tous pour mon état d’âme, reprit-il en se frappant le front. Il retourna à sa bibliothèque et saisit un petit livre qui gisait seul en un coin.

Il s’assit et le parcourut, disant : voilà le tonique, le stimulant des faiblesses, la strychnine des défaillances de