Page:Huysmans - L'Oblat.djvu/314

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de m’assurer que je ne perds pas, en voyant des arbustes qui poussent, l’argent que leur achat et que leur entretien me coûtent. Je considère une plate-bande, je scrute une corbeille et, sans y prêter attention, je trottine ; l’horticulture me dégourdit plus les jambes qu’elle ne m’égaie les yeux ; c’est un point de vue un peu spécial mais il a, puisqu’il m’est utile, sa raison d’être.

Que diable a-t-il bien pu faire dans la vie ? Se demandait parfois Durtal. Ce que l’on savait de précis sur son compte se réduisait à presque rien. M. Lampre avait été, dans sa jeunesse, élève à l’école des chartes et avait longtemps habité Paris. Il était resté célibataire et ne possédait plus pour toute famille que la fille de sa sœur mariée à un M. De Garambois, préfet sous l’empire. Sa sœur et son mari étaient morts et sa nièce, il ne l’avait guère fréquentée, car elle avait toujours vécu chez des religieuses ou près des cloîtres de Solesmes. Leurs relations jadis si espacées ne s’étaient réellement resserrées que depuis qu’elle s’était fixée au Val des Saints ; et ils s’aimaient, en se disputant, sans trop se voir.

À en croire les potins du monastère, M. Lampre, dont la fortune avait été considérable avant qu’il ne l’eût écornée par de nombreuses frasques, avait mené pendant sa jeunesse, à Paris, une existence de petit coq en émoi ; puis, il s’était converti et il avait désormais vécu, dans sa maison du Val des Saints, bienfaisant et rageur, très retiré.

Lui et Durtal s’entendaient bien ; des goûts communs les rapprochaient ; M. Lampre était peu au courant de la littérature contemporaine et tout à fait arriéré pour ce qui concernait l’art de notre temps. Il était, en sa