Page:Huysmans - L'Oblat.djvu/92

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groseilles rouges et les ciguës qui fusent de tous les côtés, mais sans que je les aie cultivées, celles-là, il y a en effet de quoi empoisonner ici un régiment !

— J’aime à croire que parmi ce lot de laiderons, vous avez votre préférée.

— Bien entendu, et cette préférée, c’est la grande éclaire ou, si vous aimez mieux, la chélidoine, et la voici, poursuivit Durtal, montrant du doigt l’une de ces plantes qui avait survécu à ses congénères, fanées, pour la plupart à ce moment de saison.

— Mes compliments, elle est jolie !

— Mais elle n’est pas si miteuse que vous semblez le croire, Madame Bavoil ; ses feuilles d’un vert sourd, très nourri de bleu, sont élégamment découpées et les imagiers du Moyen-Age les ont sculptées sur les chapiteaux des cathédrales ; puis sa fleur en étoile est d’un jaune vif et son fruit est une minuscule gousse qui renferme, tel qu’un écrin, quand on l’ouvre, d’éblouissantes rangées de petites perles ; — enfin, tenez, cassez sa tige blanche et poilue et il en sort un sang du plus bel orange qui est encore plus actif que le lait de l’euphorbe pour cautériser les verrues ; au Moyen-Age, dans les cours des miracles, les mendiants qui simulaient des infirmités pour apitoyer les passants, mélangeaient le suc de ces deux plantes et se fabriquaient avec des plaies hideuses mais indolores ; elle fut donc la providence des malingreux !

À cette même époque, elle fut aussi le sujet des plus bizarres des légendes ; l’on était convaincu que, posée sur la tête d’un malade, elle chantait s’il devait trépasser et pleurait s’il devait guérir ; ce qui ne fait pas, je l’avoue,