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LES FOULES DE LOURDES

lonté quand il n’accepte pas, d’emblée, l’origine miraculeuse d’une cure ; c’est une véritable débâcle de la raison !

Mais aussi, l’étrange monde que celui qui s’agite ici ! — les hommes sont, en général, mieux que ceux qui siègent sur les bancs d’œuvre des églises. Il y a bien encore, çà et là, des figures sébacées trouées d’yeux qui serpentent sous des lunettes, mais il y a aussi un élément jeune, aux visages intelligents, surtout parmi les brancardiers ; puis chez des hommes d’âge qui n’ont pas la dégaîne sournoise des bigots, une piété simple et forte, vraiment touchante ; quant aux femmes !

Il y a là des cagotes de province inouïes ; elles errent, jabotent, remuent, ainsi que des juments leurs gourmettes, leurs rosaires ; c’est à qui en récitera le plus, c’est à qui lampera le plus d’eau, à qui fera le plus de chemin de croix. Les dévotes, qui sont déjà une engeance redoutable dans les chapelles de Paris, deviennent effrayantes à Lourdes. Elles sont déchaînées depuis hier soir. Elles ont aperçu un évéque de trente ans qui a des cheveux longs et sales lui tombant dans le dos, une barbe de Christ et des mains tatouées de bleu, comme un lutteur ; et elles se précipitent sur ses traces en criant : Qu’il est beau ! c’est Notre-Seigneur Jésus même ! — et lorsque le bruit se répand que ce prélat serait un évêque de Terre Sainte, c’est du délire !