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LES FOULES DE LOURDES

ceaux blancs, tachés de noir, qui semblent truffés de leur vivant, des chèvres et de malheureux chevreaux, jetés, comme morts, les quatre pattes liées, par terre ; et, tout autour de cette ménagerie, s’étendent des éventaires, en plein vent, où l’on débite des oignons d’Espagne, roses et marbrés de plaques de lie de vin, des chapelets d’aulx, des fromages ronds, dont la pâte sous une croûte malpropre est un mastic, de la boucherie, des espadrilles, des étoffes poilues, de la ferraille, des citrons et de hideuses poteries du crû, au ventre chocolat sillonné de coulées de jaune beurre ; il y a de tout, de la bondieuserie à deux sous le tas et des miches de pain blanc, régal des montagnards qui ne mangent d’habitude que du pain noir.

Et, dans le meuglement des vaches, le bêlement des brebis, le grognement des porcs, tout ce monde jargonne, un bâton à la main, s’attable au seuil des cabarets, s’appelle ; les vieux, avec leur face dure, leur nez busqué, relié par des rides en coups de sabre à la bouche ; les jeunes avec des figures de bruyants tourlourous ; à de rares exceptions près, tous les vieux sont rasés et tous les jeunes portent la moustache ; et tous sont coiffés de bérets, vêtus de gilets de chasse, de manteaux à capuchons, chaussés, les vieux surtout, d’incroyables sabots dont le bout recourbé se dresse en proue de galère, en lame de yatagan.