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LES FOULES DE LOURDES

et elle s’en acquitte, en promulguant ses miracles, maintenant qu’elle a été choisie par la Mère, pour servir de véhicule aux guérisons !

Ce matin-ci, l’étroit corridor qui dessert l’antichambre des déshabillages et les cabines est obstrué par des brancards habités, lorsque j’arrive. Un vieux Monsieur dont la tête, en œuf, est chauve du haut et poilue du bas, s’agite dans un costume de cycliste. Il commande, en se dandinant, morigène les baigneurs, inscrit, d’un air important, le nombre des bains sur un carnet ; c’est un spécimen de grosse mouche du coche qui prêterait à rire, si le spectacle auquel on assiste n’était si triste.

On se met à quatre pour déshabiller un malade dont le dos n’est qu’une plaie ; une odeur horrible de pus et de cadavre vous saisit à la gorge ; l’homme, cassé en deux, gémit et la bouche bée, les dents au clair. On lui attache, par pudeur, un pagne sur le ventre ; on lui passe une sangle sous les reins et, le plus adroitement qu’ils peuvent, les quatre baigneurs le glissent dans la piscine. Au contact de l’eau glacée, toute la peau lui court en ondes sur le corps ; il suffoque, la tête à la renverse sur les épaules ; on le retire et, sans l’essuyer, on lui remet ses vêtements et on l’emporte.

On a prié, pendant ce temps-là, le mieux qu’on a pu ; mais comment ne pas se confiner dans la supplique labiale, comment penser à ce que l’on