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LEUR PAYS.

qu’il y a constamment une couche de nuages et de brouillards amoncelée sur sa surface[1].

Les peuples étrangers l’appellent Okéanos[2], mot par lequel ils expriment la même idée que nous désignons par le mot onsor (élément) ; toutefois, je ne me rends point garant de cette signification. Ils lui donnent aussi le nom de Latlant[3], avec le second l fortement accentué.

Comme cette mer est très vaste et n’a point de bornes, les navires qui la fréquentent ne s’aventurent pas hors de vue de la terre ; d’autant plus que l’on ignore à quels lieux les différents vents qui y soufflent peuvent aboutir. En effet, elle n’a pas pour dernière limite un pays habité, à la différence des mers bornées [par des terres]. Même dans celles-ci, les vaisseaux ne naviguent à l’aide des vents que parce que les marins ont acquis, par une longue expérience, la connaissance des lieux d’où ces vents soufflent et de ceux vers lesquels ils se dirigent. Ces hommes savent à quel endroit chaque vent doit les conduire ; sachant aussi que leur navire est porté en avant par un courant d’air venant d’un certain côté, ils peuvent sortir de ce courant pour entrer dans un autre par lequel ils seront poussés à leur destination[4].

Mais en ce qui concerne la Grande Mer, ce genre de connaissances n’existe pas, pour la raison qu’elle est sans limites. Aussi, quand même on saurait de quel côté le vent souffle, on ignorerait où il va aboutir, puisqu’il n’y a aucune terre habitée derrière cet océan. Il en résulte qu’un navire qui s’y laisserait aller au

  1. Notre auteur ne fait que reproduire ici l’opinion des philosophes arabes.
  2. Le texte porte Aknabos, altération du mot Okéanos. Cette erreur est très-ancienne et provient du déplacement des points diacritiques. On peut même dire que la fausse leçon est universellement reçue par les géographes arabes.
  3. De لتلانت (latlant) les copistes ont fait لبلايت (leblaiat) et لبلاية (leblaïa). — El-Bekri connaissait l’emploi du mot ادلنت (Adlant) comme nom de l’Atlas. (Voyez Notices et Extraits, t. xii, p. 564).
  4. Dans une autre partie de son histoire universelle, Ibn-Khaldoun parle de la boussole, instrument qu’il appelle combas, c.-à.-d. compas.