Page:Ibn Khaldoun - Prolégomènes, Slane, 1863, tome I.djvu/538

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Moaouïa s’était justifié en alléguant les intérêts de la bonne cause et de la religion. Si Omar avait eu l’intention de condamner, d’une manière absolue, les usages de la royauté, il ne se serait pas contenté de cette réponse ; au contraire, il aurait forcé Moaouïa à renoncer tout à lait au chosroïsme, qu’il avait adopté. Par ce mot, Omar voulait désigner les habitudes répréhensibles auxquelles les Perses se livraient dans l’exercice du pouvoir royal ; ils se laissaient emporter par la vanité, entraîner dans les sentiers de l’injustice et dans l’oubli du vrai Dieu. Moaouïa, dans sa réponse, lui donnait à entendre qu’il n’agissait pas ainsi par l’esprit de vanité et de chosroïsme, qui prévalait chez les Perses, mais bien par le désir de mériter la faveur de Dieu.

De même qu’Omar, les Compagnons rejetèrent la royauté et tout ce qui en dépend ; ils laissèrent tomber en désuétude les usages de la souveraineté dans la crainte de les trouver entachés de frivolité. Le Prophète, étant sur son lit de mort, et voulant confier à Abou Bekr les fonctions les plus importantes de ia religion, lui ordonna de présider à la prière publique en qualité de son vicaire [khalife). Tout le monde apprit avec plaisir la nomination d’Abou Bekr au vicariat (ou khalifat), charge qui consiste à diriger toute la communauté vers l’observation de la loi. A cette époque, personne ne pensait à nommer un roi ; on croyait que la royauté était un foyer de vanité, une institution spéciale aux infidèles et aux ennemis de la religion. Abou Bekr remplit ses devoirs sans s’écarter des usages de son maître ; il combattit les tribus qui avaient apostasie et finit par rallier tous les Arabes à l’islamisme. Omar, à qui il transmit le khalifat, se conduisit comme lui ; il fit la guerre aux autres peuples, les subjugua et autorisa les Arabes à dépouiller les vaincus et à leur enlever l’empire. Le khalifat passa ensuite à Othman, puis à Ali, chefs pour qui la royauté et ses usages n’avaient aucun attrait. Ce qui fortifia chez eux ce sentiment d’aversion, ce fut la grande habitude des privations[1] qu’im-

  1. Pour عضاضة, lisez غضاضة.