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ROSMERSHOLM

rosmer. — Oui, oui.

brendel. — Oh ! combien j’ai joui, savouré dans ma vie ! Les joies mystiques du développement intérieur — toujours dans de vastes proportions. — Les applaudissements, les actions de grâces, les louanges et les couronnes de laurier — j’ai tout recueilli avec des mains tremblantes de joie. Je me suis repu, dans mes solitaires visions, d’une allégresse — oh ! d’une allégresse vertigineuse ?

kroll. — Hm.

rosmer. — Mais vous n’avez jamais rien écrit de out cela ?

brendel. — Pas un mot. Ce plat métier d’écrivain m’a toujours dégoûté. Et pourquoi aurais-je profané mon idéal, quand je pouvais en jouir dans toute sa pureté, pour moi tout seul ? Mais aujourd’hui, il doit être sacrifié. En vérité — je me sens comme une mère qui va remettre sa fille dans les bras d’un époux. Et pourtant, je me décide au sacrifice, je le fais sur l’autel de l’émancipation. Une suite de conférences bien faites — à travers tout le pays !

rébecca, avec vivacité. — C’est une noble idée, monsieur Brendel ! Vous donnez ce que vous avez le plus précieux.

brendel. — Mon seul trésor.

rébecca, jetant un regard significatif à Rosmer. — Tout le monde n’en fait pas autant. Tout le monde n’a pas ce courage.