Page:Ingres d’après une correspondance inédite, éd. d’Agen, 1909.djvu/109

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pour ce qui est bon, beau et profitable. Et tu es, cher ami, cet homme.

Je t’avouerai cependant, (car je ne pourrai jamais te rien cacher), que j’ai ressenti un extrême plaisir à me voir ainsi loué par toi, et je me rappelle peu d’époques de ma vie où je me suis senti aussi heureux. Dans ceci, il n’y a aucune autre vanité que celle, bien permise, de se voir approuvé de ceux qu’on estime. La louange d’un fat ou d’un ignorant doit plutôt vous donner l’éveil de quelque faute. Je dis donc, cher ami, que ce que j’accepte dans ce que tu penses en bien de moi, c’est de me dire que je suis dans le bon sentiment des choses. Je généralise, car notre art n’est pas seulement dans le maniement du pinceau : il y a beaucoup de sœurs et de frères dans ses harmonies. La nature m’a doué de quelque intelligence ; aussi je m’efforce de pénétrer plus avant, par toute sorte d’études, et chaque pas que je fais de plus dans la connaissance de la nature me fait voir que je ne sais rien. Plus je suis touché du grand et de la perfection, plus je me trouve admis au désespérant avantage de mesurer toute l’étendue de ce qui me manque. Je détruis plus que je ne crée et je suis très long à combiner de beaux résultats, amant surtout du vrai et ne voyant le beau que dans le vrai. Ce vrai a fait Homère et Raphaël, et peu de gens le sentent. Avec cela, les sottes ignorances du public et ses critiques sur le caractère que je veux donner à mes ouvrages, en voilà assez pour posséder tous mes plus petits moments