Page:Ingres d’après une correspondance inédite, éd. d’Agen, 1909.djvu/39

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 27 —

vaincue ce pauvre Ingres qu’on payait, alors, de 5 à 25 francs pour chacune de ces 300 mines de plomb qui firent plus tard le lot le plus certain de sa gloire durable [1], le lion malheureux n’avait plus qu’à rentrer dans son gite où lui restait, pour sa consolation, le tout petit portrait fait par lui-même, et pour lui seul, de sa pauvre paysanne de mère. Dans le silence de cet atelier romain, laissé bien vide par le départ de la petite vieille, il la voyait regagnant de ville en ville ce Montauban si lointain et, partant,

  1. Dans les Souvenirs d’Atelier d’Ernest Hébert à qui nous consacrerons un prochain volume, le maître de la Mal’aria, rapportant une visite qu’en 1840 il fit au maître de la Stratonice, avec ses camarades pensionnaires de la Villa Médicis dont Ingres était devenu le directeur, nous lisons : « En redescendant, nous fîmes nos compliments à Mme Ingres, qui nous attendait dans son salon du premier étage. C’est alors qu’elle nous dit que la Stratonice était commandée par Mgr le duc d’Orléans et payée 9.000 francs, « C’est un beau prix, hein ? Vous autres aussi, vous aurez des bonnes fortunes pareilles si vous travaillez bien. Mon mari n’a pas été toujours aussi largement payé. Quand nous étions à Florence, après sa pension, dans les premiers temps de notre mariage, il faisait des portraits au crayon dans la famille Gonin, qui lui étaient payés 25 francs, et nous étions bien heureux d’avoir cette ressource. Mais, après chaque portrait, M. Ingres déclarait qu’il n’en ferait plus, qu’il était peintre d’histoire et non dessinateur de bourgeois. Cependant il fallait vivre et M. Ingres reprenait son crayon. » Ce tableau de la Stratonice, — pouvons-nous ajouter pour terminer ce récit — avait été commandé par le duc d’Orléans, en 1834, pour servir de pendant au Meurtre du duc de Guise, peint par Paul Delaroche. Au prix convenu de 9.000 francs, le duc, satisfait ajouta le double en recevant ce tableau, en 1840. En 1853, le prince Demidoff acheta la Stratonice 63. 000 francs en vente publique, alors que le duc d’Aumale avait acquis le Meurtre du duc de Guise au prix de 60.000 francs. Désirant posséder aussi la Stratonice, le duc d’Aumale offrit 100.000 francs au prince Demidoff, qui préféra renvoyer ce tableau à la Salle des Ventes, où il fut acquis par le duc d’Aumale pour la somme de 93.000 francs.