Page:Ivoi - Les Semeurs de glace.djvu/237

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— Étrange aussi l’état de mon esprit ! Je voudrais qu’ils souffrissent mille morts, pour m’avoir condamné à cette horrible condition d’un honnête homme, lié par le devoir filial à des êtres hors la loi, et je souhaite aussitôt attirer sur moi toutes les souffrances afin de les leur épargner.

Il se tut.

Stella écoutait toujours. Dans ses grands yeux noirs, il y avait comme de la tendresse. Mais Jean ne s’en aperçut pas.

— Je vais joindre ces hommes, reprit-il, j’obtiendrai d’eux qu’ils se séparent de leurs camarades, puis je reviendrai auprès de vous. Je vous suivrai jusqu’au jour où, vengée, triomphante, vous n’aurez plus besoin de moi…

Sa voix se faussa en prononçant ces paroles, mais il se raidit contre la douleur et acheva :

— Je m’éloignerai alors. Les philosophes prétendent que l’on oublie tout ; peut-être aurai-je le bonheur d’oublier !

Il s’inclina et se disposa à sortir.

À ce moment, Ydna l’arrêta par le bras :

— Vous êtes un brave homme, monsieur Jean ! dit-elle.

Et comme il tournait vers la prêtresse un regard reconnaissant, elle lui prit la main, la réunit dans les siennes à celle de Stella, et doucement :

— Ma sœur, laisse-moi te donner ce nom si doux ; tu es privée d’une famille que tu as pu aimer. Moi, je suis orpheline, ayant perdu une famille inconnue. Et lui, isolé comme nous, peut-il être rendu responsable de l’étrange famille qu’il a rencontrée ?

— Non, non, redit par deux fois Stella.

Lui se prit à trembler :

— Que signifient ces paroles ?

— Que vous êtes un noble cœur, monsieur Jean, qu’il n’y a rien de changé entre nous après votre loyal aveu.

— Rien ?

— Rien, je vous le répète.

Il joignit les mains :

— Oh ! mademoiselle… commença-t-il.