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plantés en terre à égale distance, une salle oblongue, qu’ils ornent de feuillages, de tresses de fleurs et de nattes. Les femmes roulent des cigarettes, qu’elles passent aux travailleurs en stimulant leur activité.

La précision des lignes, la simplicité et le bon goût de l’ornementation de cette salle de festin à jour présentent le coup d’œil en même temps le plus étrange, le plus frais et le plus harmonieux qu’on puisse imaginer.

C’est sous ce temple de verdure que chaque famille du village vient dresser sa table, en réservant le haut bout aux autorités, et lorsque le soleil approche du zénith, le tambour du village fait entendre un long roulement, au son duquel chacun se retire dans sa case pour procéder à sa toilette.

Puis, sur un ordre du chef, le signal est donné par le tambour officiel, et chacun revient prendre place à la table du festin. On n’attend plus que l’arrivée des autorités, qu’annoncent bientôt les grosses caisses et les tambours. Un « innahà » de satisfaction sort de toutes les bouches ; les têtes se tournent du côté du chemin, où débouche bientôt la procession officielle précédée des dilettanti tapageurs et des drapeaux de la France et du Protectorat[1]. La marche est lente, les attitudes sont graves, les figures solennelles. La partie masculine du cortège, torturée par sa chaussure, cuit sous ses habits de gros drap noir au soleil de midi. Deux ou trois fins parleurs ont quitté leurs tables et se sont placés au centre de la salle de verdure. Dès que le cortège s’est trouvé à portée de voix, le parleur ordinaire a crié aux musiciens de se taire, et d’une voix élevée, et avec un maintien des plus sérieux, il commence un long discours en interpellant chacune des autorités par son titre. Son discours enfantin et terre à terre est souvent interrompu par les éclats de rire approbatifs des auditeurs et les cris des enfants, qui prétendent s’emparer de toutes les friandises qui depuis si longtemps les fascinent. Le chef du dis-

  1. Ce drapeau est composé des trois couleurs françaises enclavées dans le drapeau de la royauté tahitienne : bande rouge entre deux bandes blanches horizontales.