Page:Jacob - Souvenirs d’un révolté.djvu/12

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te souvenir aussi qu’au retour de l’expédition, dépassé le pont de la Somme, le cafetier du coin, d’une voix glapissante, nous salua au passage d’un retentissant : « Bonsoir la troupe ! »

— Je te crois que je m’en rappelle. Tu lui as répondu : « B’soir citoyen ».

— Sur l’instant nous ne comprîmes rien à cette interpellation. Ce ne fut qu’en arrivant à la gare, où nous vîmes une troupe de comédiens se disposant à prendre le train, que nous comprîmes l’allusion. On nous avait pris pour des cabotins. D’autre part, tu dois te rappeler aussi que je fut obligé de faire déclasser nos billets en deuxième classe parce que le train de 3h30 ne prenait pas de troisième classe. Or le lendemain, après la découverte du sacrilège, le bonhomme du « Bonsoir la troupe », ainsi que le contrôleur de la gare se sont souvenus de notre passage. Et c’est ainsi que le surlendemain tu as pu lire comme moi dans le journal : « Les malandrins étaient au nombre de trois. Ils ont pris le train de 3h30 à destination de Paris. » Et enfin, voilà pourquoi la tortue de la fenêtre qui a dû probablement lire les journaux, nous a dit il y a quelques heures : « Ils sont encore trois ! », c’est à dire, ils sont encore trois comme à l’église Saint-Jacques. As-tu compris ?

— Tout à fait.

À peine finissais-je mon explication que Pélissard nous fit part d’une découverte qu’il avait faite en scrutant les ténèbres.

— Tenez ! Regardez là-bas, nous fit-il en étendant le bras dans la direction de l’est. Ne voyez-vous pas une lumière ?

Puis, sans attendre la réponse, il reprit :

— Il y a déjà un bon moment que je l’observe. Et plus je regarde, plus je crois ne pas me tromper. Selon moi, c’est le fanal d’un train.

En effet, il ne se trompait pas. Quelques minutes plus tard, le train, passant à une courbe, nous montra le flanc. Alors ce ne fut plus une seule lumière, mais des douzaines que nous vîmes se courir les unes derrière les autres. Chaque portière semblait une lampe. On aurait dit un steamer avec ses cabines de batteries éclairées, laissant filtrer la lumière à travers les hublots. À mesure que le train avançait, il changeait de position, en suivant les sinuosités des rails. Par la distance qui nous séparait de lui lorsqu’il passa à l’opposite de notre position, nous jugeâmes que la voie ferrée n’était plus éloignée.

— Ce serait bien le diable, dit Pélissard, si nous ne trouvions pas une station de chemin