Page:Jacob - Souvenirs d’un révolté.djvu/13

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de fer d’ici quatre ou cinq kilomètres.

Et dans cet espoir, après avoir allumé chacun une cigarette, nous nous remîmes en marche, toujours au petit bonheur. Une heure après environ, nous arrivions à Pont-Rémy.

Ordinairement, lorsque je partais en voyage, j’avais le soin de me munir d’un indicateur Chaix. Comme un fait exprès, ce voyage-là, je l’avais oublié. Aussi, afin de ne pas demeurer plus longtemps dans l’incertitude, notre premier soin fut de nous rendre à la gare pour consulter l’horaire. La gare était fermée ; mais une pancarte étant apposée contre les vitres de la porte, avec l’aide de notre lampe, il nous fut aisé de satisfaire notre curiosité.

Jusqu’à 6h10 du matin, il n’y avait aucun train qui s’arrêtât à cette station. Je consultai la montre ; il était à peine deux heures du matin. C’était donc quatre heures qu’il nous fallait attendre.

Certes, si pareille aventure nous était arrivée quelques mois plus tard, à la bonne heure ! La situation aurait été supportable, agréable pour mieux dire. Pour ma part, je suis de ceux à qui une nuit à la belle étoile, en plein été, ne fait pas peur. Mais malheureusement pour nous, la saison n’était pas aussi avancée ; et, au mois d’avril, par un temps pluvieux, le ciel de la Picardie n’offrant aucun charme, nous résolûmes d’aller nous gîter aux deux hôtels avoisinants la gare. Moi à l’un, Bour et Pélissard à l’autre, nous eûmes beau sonner, appeler, frapper, crier, rien n’y fit, personne ne donna signe de vie.

Ce silence ne nous disait rien qui vaille. Moi surtout, j’étais à peu près persuadé qu’aucun des aubergistes ne nous voudrait recevoir. Mais, soit par acquit de conscience, soit pour me venger de leur impudent silence, je me rangeai à l’avis de Pélissard qui proposait de leur jouer une sérénade. Mais là encore nous en fûmes pour nos frais. Nous eûmes beau nous fatiguer les poings à tambouriner sur leur devanture, pendant plus de cinq minutes, l’air de « Viens Poupoule », messieurs les gargotiers ne daignèrent seulement pas nous répondre. Au fait, cela ne me surprenait pas. Depuis que je voyageais, ce n’était pas la première fois qu’il m’était donné d’apprécier les mœurs hospitalières de messieurs les gargotiers de campagne. Qu’il pleuve, qu’il neige, qu’il vente, qu’il gèle à pierre fendre, ce sont là des misères dont ce bipède se soucie fort peu. N’est-il pas à l’abri, lui ? Aussi donne-t-il rarement asile, la nuit, à un étranger. C’est tout juste s’il condescend à examiner l’intrus par la fenêtre. Le voyageur est-il correctement vêtu ?