Page:Jacob - Souvenirs d’un révolté.djvu/21

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D’un geste j’arrêtai l’aubergiste. Puis m’adressant à Nacavant :

— Merci ; je n’en bois pas.

Il traduisit sa surprise par un : « Ha ! », et en deux lampés il avala la liqueur.

Le cafetier avait si bien coupé dans l’histoire de notre prétendue fonction que, de l’avis de l’employé de la gare, la liqueur qu’il nous servit n’était pas frelatée.

— C’est pas de l’ordinaire, nous dit-il en nous jetant un clignement d’œil à la dérobée comme pour nous dire : « On sait qui vous êtes ! »

Puis, tout en faisant clapper sa langue contre son palais, en homme qui sait déguster les bonnes choses, il consulta la pendule de l’auberge et reprit :

— Faites excuse… il faut que je vous quitte… Le service c’est le service.

Il nous serra la main et tout en s’en allant il ajouta :

— Merci de votre amabilité.

— C’est nous qui vous remercions, lui dit Bour.

Il sortit pour se rendre à son travail.

De la façon dont j’étais assis dans l’auberge, je faisais face à la fenêtre et pouvait voir, dans un assez vaste rayon, ce qui se passait au-dehors. C’est ainsi que je vis arriver deux gendarmes venant de la direction de Fontaine.

Au moment où Nacavant arrivait à la barrière, eux y arrivaient aussi. Ils se saluèrent, en personnes habitant le même village, accoutumées à se voir fréquemment, familièrement, et causèrent entre eux trois, durant quelques minutes.

Je craignis qu’ils cherchassent après nous. Mais je fus bientôt rassuré. Arrivés devant l’auberge, ils jetèrent un coup d’œil furtif ; mais leur regard n’eut rien de cette indiscrétion qui caractérise si bien les gens de cette fonction. Tranquillement, en cadence, ils continuèrent leur promenade vers le bout du village, réintégrant leur caserne.

— Si nous partions ? dit Bour.

— En effet ; c’est l’heure, lui répondis-je après avoir consulté ma montre.

J’appelai le patron.

— Tenez ; payez-vous, lui dis-je en lui donnant une pièce de dix francs.