Page:Jacob - Souvenirs d’un révolté.djvu/23

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Soudain, sans aucune explication préalable, le brigadier Auquier (car c’était lui, accompagné de l’agent Pruvost), d’une voix glapissante qui, en toute autre circonstance, aurait illustré un acteur, s’écria :

— Les voilà ! Les voleurs de la place Saint-Pierre ! Les voilà ! Les voleurs de l’église Saint-Jacques ! Les voilà ! Les voleurs de monsieur de la Rivière !

Ces trois exclamations furent dites à l’affilée, sans interruption. Je crois même pouvoir ajouter sans respiration, car sa figure devint rouge comme un soubassement d’abattoir. Vraiment ! Ce pauvre homme manquait de tact et de prudence ! Croyait-il nous clouer sur place avec des phrases ? Pécaïre !

— À qui parlez-vous ? Lui dis-je avec hauteur, en le regardant durement. Serait-ce à nous, par hasard ?

— Oui, oui, oui ; à vous, oui, me dit-il presque en aboyant, tant il mit d’acharnement dans sa réponse.

— Avancez par ici, ajouta-t-il en nous précédant dans le bureau du chef de gare. Nous allons nous expliquer.

La soudaineté de l’attaque avais été telle que nous nous trouvâmes tous trois dans le bureau sans savoir au juste comment et pourquoi nous y étions venus. Mais, pour moi, cette surprise ne fut pas de longue durée. Avec la rapidité avec laquelle la pensée discerne les choses dans les moments critiques, je compris toute la gravité de notre situation et résolus de tenter un grand coup. Deux moyens étaient à ma portée : la ruse et la violence. J’essayai du premier avant d’avoir recours à l’autre.

— Écoutez mon brave, dis-je à Auquier d’un air bonasse. Vous faites fausse route, croyez-moi. Nous ne sommes pas des cambrioleurs, mais des contrebandiers. Or nous n’avons pas de marchandises ; par conséquent pas de flagrant délit… Aussi allez-vous nous faire le plaisir de nous laisser tranquilles, n’est-ce pas ?

Il demeura indécis pendant quelques secondes, puis :

— Nous allons vous fouiller. Nous verrons ensuite.

Et, voulant joindre le geste aux paroles, il fit mine de porter ses mains sur moi.

Les paroles devenaient inutiles. Il fallait passer aux actes. Je fis deux pas en arrière, et le revolver d’une main, le poignard de l’autre, je m’écriai :

— Laissez-nous passer, tonnerre de Dieu ! Ou je fais feu.