Page:Jacob - Souvenirs d’un révolté.djvu/27

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grands effets ! Ce léger accident de terrain, cette brouettée de terre, pourrais-je dire, fut suffisante pour que je pusse observer les mouvements de l’ennemi.

S’il faut en croire les on-dit, Santos-Dumont n’entreprend jamais un voyage aérien sans être porteur d’une médaille de saint Benoît. Moi, je ne voyageais jamais sans être muni de jumelles marines ou d’une longue-vue. Que voulez-vous ? chacun a ses petites manies !

J’ignore les services que peut rendre un morceau de métal, dont l’estampe représente une figure de moine ; mais mon ignorance ne s’étend pas jusqu’aux appareils d’optique.

J’avoue qu’une longue-vue est un objet fort utile et des plus précieux pour un cambrioleur. Voulais-je m’assurer, sans le concours des scellés, si une maison était momentanément inhabitée ? Vite, la longue-vue entrait en scène. Je regardais si les cheminées fumaient ; si le trou de la serrure était couvert de poussière ; si les fenêtres étaient pourvues de rideaux ; si les araignées avaient eu le temps de tisser leur toile sur telle ou telle partie de l’édifice…

Mais au fait… écoutez ceci, braves gens. Vous m’en direz des nouvelles.

C’était à Marseille, au mois de juin de l’an 99, si j’ai bonne mémoire. Ce jour là, depuis huit heures du matin, j’étais posté sur le sommet de la colline de la Garde, surveillant un château situé au Roucos-Blanc, dont le seul domestique - une femme de chambre - avait la garde, pendant l’absence des maîtres. Il faut vous dire que, grâce à une enquête habilement menée, j’avais appris que la servante était passionnément éprise d’un marchand de chichis frégis de la Cannebière ; de sorte que j’étais au courant de ses rendez-vous tout comme si elle avait été ma maîtresse. Bref, ce jour-là, nous savions donc que la particulière avait rendez-vous avec son particulier dans un garni de Pentagone. Aussi tout était prêt. Les outils étaient à portée du travail ; le butin était même vendu avant d’avoir été pris ; nous n’attendions plus, pour commencer l’assaut, que l’arrivée de la nuit.

Or, depuis huit heures du matin je me trouvais à mon observatoire, je n’avais rien remarqué d’anormal ; tout allait à merveille. De temps à autre je voyais la donzelle qui se pavanait dans les allées du parc, les yeux pétillants d’envie de chichis frégis. Tout d’un coup je la vois sortir tout affairée, en se dirigeant vers la grande grille donnant sur la Corniche ; puis je la vois revenir tenant une dépêche à la main : « Bagasse ! Quès aco ? » me dis-je. Et, aussitôt, allonge que tu allongeras, d’allonger ma longue-vue. Ce ne fut pas pour des prunes comme vous