Page:Jacob - Souvenirs d’un révolté.djvu/28

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

l’allez voir. Au même instant, la voilà qui déplie le télégramme et se met à le lire en me tournant le dos. « Pour le coup, ma belle ! tu ne pouvais mieux faire », lui dis-je. Mais, elle ne m’entendit pas, car il est bon de vous dire que je me trouvais au moins à deux bons kilomètres du château. N’importe, cette distance ne m’empêcha pas de lire le petit bleu tout comme si je l’avais eu entre les mains. « Arriverons ce soir », disait laconiquement la dépêche. Et c’était signé : Pétalugue. Pas de chance ! C’était M. le marquis de Pétalugue qui, pour une cause quelconque, retournait à l’improviste.

Avouez tout de même que, sans le concours de la longue-vue, il nous en serait arrivé du propre. Nous serions allés à l’assaut du château et nous aurions reçu des coups de triques. Voilà, braves gens, à quoi servent les appareils d’optique…

Or, lors de mon dernier voyage - voyage de décentralisation, s’entend -, j’étais muni de mon inséparable longue-vue. Ce n’était pas un de ces vieux clous que l’on trouve à l’étalage de chaque bazar, non, mais une longue-vue des plus puissantes : je vous prie de croire que ce n’était pas de la camelote. Du reste, s’il vous restait un doute à cet égard, qu’il me suffise de vous dire que je me l’étais offerte chez l’amiral Aubry de La Noë, à Cherbourg : un vieux loup de mer qui s’y connaît dans ces sortes d’outils.

Aussi, dès que j’eus exploré les environs à l’œil nu, mis-je à contribution les puissantes propriétés de mon appareil en le braquant en direction de la gare. Certes, il m’aurait été bien difficile de pouvoir lire les quelques affiches qui ornent la gare : pensez donc ! il faisait si sombre ! Mais je pus très bien distinguer tout ce qui se passait sur les quais de la voie. Quel branle-bas, mes enfants ! Les uns couraient par-ci, les autres allaient par-là ; certains enfin se tenaient collés aux portes vitrés examinant ainsi ce qui se passait à l’intérieur de la gare. Sans doute devait-on secourir les agents : je dis secourir, car à ce moment j’ignorais que l’un d’eux fut mort. Tout ce va-et-vient, ce remue-ménage de la population du village, ne me dit rien qui vaille. Je connaissais assez l’esprit public de la population rurale pour la savoir disposée à organiser une battue dans les environs. Aussi résolus-je de gagner du terrain. Après m’être assuré que personne ne venait dans ma direction, je continuai ma route, sur la gauche, en descendant la butte, de façon à éviter Érondelle.

Lorsque j’eus mis quelques kilomètres entre moi et Pont-Rémy, j’usai d’un stratagème qui, pour être fort simple et des plus connus, n’en réussit pas moins. Je pris quelques-unes des cartes commerciales que je portais toujours sur moi, indiquant