Page:Jacob - Souvenirs d’un révolté.djvu/29

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ma pseudo-profession, mon ancien domicile, et le tout sous un faux nom ; puis je les déchirai en menus morceaux que je parsemai sur le chemin sur un parcours de quelques décamètres ; ensuite, je revins sur mes pas en marchant sur l’herbe, évitant ainsi de laisser trace de l’emprunte de mes chaussures ; et je continuai ma marche dans une nouvelle direction, en coupant à droite, à travers champs, en ayant soin de scruter l’horizon.

En débouchant d’un petit bois dans lequel je m’étais engagé depuis quelques minutes, je me trouvai soudain sur la lisière d’un village. La route était devant moi. J’y entrai et piquai droit sur le village. La plaque indicatrice apposée contre l’une des premières maisons que je rencontrai m’apprit que je me trouvai à Limeux. Un peu plus loin, je fis la rencontre d’un gamin de huit à dix ans, qui sortait d’une ferme d’où s’échappaient les hennissements des chevaux et les beuglements des vaches. Je l’accostai en lui demandant où se trouvait la gendarmerie. Sans chapeau, la tête recouverte de mon pardessus, je craignais d’être inquiété. De là ma demande.

— La gendarmerie ? répéta-t-il avec surprise. Mais il n’y en à pas. Elle est à Pont-Rémy.

Satisfait par sa réponse, je lui glissai quelques sous dans la main. Il ouvrit de grands yeux d’un air ahuri et, lorsque j’arrivai au coude de la route, en me retournant, je le vis encore planté au même endroit où je l’avais quitté, regardant et retournant avec étonnement les pièces de monnaie qu’il tenait dans sa main. Les bienfaits de la civilisation n’ont pas encore pénétré jusqu’ici, me dis-je. La mendicité y est inconnue.

Lorsque j’eus franchi le village, je quittais la route en coupant à travers champs. Sans avoir les dimensions d’une route départementale, voire même d’un chemin vicinal, le chemin d’écorche, comme l’on dit en Provence, sur lequel je m’étais engagé, était très bien entretenu. Aussi en profitai-je pour avancer aussi vite que mes forces me le permettaient.

Deux kilomètres après Limeux, en franchissant une ondulation de terrain dont l’un des versants était boisé jusqu’au sommet, je rencontrai un vieux bonhomme de paysan à la physionomie joviale et pétillante de santé. Il me produisit une si bonne impression que je résolus de lui demander quelques renseignements. D’ailleurs, je n’avais pas l’embarras du choix.

Généralement, le paysan est l’ami du contrebandier ; quelquefois est-il contrebandier