Page:Jacob - Souvenirs d’un révolté.djvu/31

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à la contrée, du chinois. Néanmoins, je fis le monsieur qui avait compris et après lui avoir serré la main, je le quittai en le remerciant.

— Surtout, si vous rencontrez les gendarmes, ne leur dites pas m’avoir rencontré, lui dis-je en m’en allant.

— Vous dénoncer, moi ? Ah ! Que nenni ! Et pour donner plus de valeur à ses paroles, il fit un geste énergique avec la main.

Parvenu au point culminant de l’ondulation que j’ascensionnais depuis un moment, je pénétrai dans sa partie la plus boisée et grimpai à un arbre. Là, à mon aise comme un astronome dans son observatoire, je braquai ma longue-vue aux quatre points cardinaux, en cherchant à découvrir Pont-Rémy. Mais, dans ces pays du Nord, l’atmosphère n’est pas diaphane comme dans le Midi, comme à Marseille par exemple où l’on peut lire des dépêches à deux kilomètres de distance. J’eus beau donner toute sa longueur à mon appareil, mes efforts d’optique demeurèrent vains. C’est tout juste si, sur l’un des nombreux chemins et routes que j’apercevais, je vis une voiture montée par deux paysans : mais, à son allure de punaise rassasiée, j’en augurai qu’elle ne pouvait être un danger pour moi. Aussi ne m’en inquiétai-je point. Cependant cette assurance ne s’étendit pas à toutes choses. Perché sur mon arbre comme un rossignol en rupture de cage, je sondais mes méninges afin de combiner un nouveau stratagème. Comme je l’ai déjà dit, je savais les populations rurales moutonnières à l’excès ( !!). Il suffisait qu’un imbécile proposât une battue pour qu’il en résultât une levée en masse. Or, dans ce cas, je risquais fort d’y laisser mes plumes.

Donc aux grands maux les grands remèdes. À l’instar de ce Grec qui coupa la queue de son chien pour détourner l’attention de ses détracteurs, je résolus d’incendier le bois qui me donnait asile : « Les paysans sont tous dévoués pour la chasse au cambrioleur ; mais lorsqu’ils verront les arbres flamber, ils perdront sûrement leur enthousiasme ; et, s’il leur en reste, ils l’emploieront à éteindre le feu, ou tout au moins à le circonscrire. Pendant ce temps Jacob gagnera du terrain. » Ainsi raisonnais-je tout en mettant la main à la pâte. Je coupai autant de branches que je pus de l’arbre sur lequel j’étais réfugié, puis je descendis et fis plusieurs petits bûchers autour du fût de quelques arbres. Ensuite… ensuite… je dus m’en tenir là, car si l’idée n’était pas mauvaise, je dois ajouter que tout se coalisa pour la rendre irréalisable. Dans mon empressement je n’avais pas pensé que je ne me trouvais pas dans les Bouches-du-Rhône où le procédé m’avait réussi une fois déjà, lors d’une aventure qui m’était arrivée sur les propriétés du marquis de Forbiu. Je n’étais pas au pays du soleil, de la poussière, des cigales et