Page:Jacob - Souvenirs d’un révolté.djvu/41

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Puis avant que mes voisins lui eussent répondu, il continua :

— Ce matin on a tué deux agents de police à Pont-Rémy.

— Ah bah ! S’exclamèrent en même temps les deux consommateurs.

— Oui, reprit l’égorgeur de bétail en m’observant toujours, le coup a été fait par des cambrioleurs d’Abbeville… on dit qu’ils venaient de Paris…

— Comment ça c’est-y passé ? demanda mon vendeur de lampe.

— Les agents ont voulus les arrêter au moment ousqu’y prenaient le train à Pont-Rémy… Alors eux ont pas voulus se laisser arrêter… Ils ont tirés des coups de revolver et frappé à coups de poignard… à c’t’heure y en a déjà un de mort. C’est Pruvost… vous savez bien, Pruvost…

— Pruvost de Blangy ?

— Ah ! C’est sti-là ! Fit mon voisin.

— L’autre c’est Auquier, le brigadier d’Abbeville, continua le boucher. Il est pas encore mort, mais il ne passera pas la nuit, pour sûr. C’est le major qui l’a dit.

Depuis qu’il parlait, tous les regards étaient braqués sur moi, épiant le moindre de mes gestes. D’instant en instant ils s’entre-regardaient comme pour se demander mutuellement ; « Ne serait-ce pas l’un des cambrioleurs ? ». Le silence qui se fit après le reportage du boucher devint écrasant. Je le rompis.

— À quelle heure est arrivé ce drame ? Demandai-je insouciamment en aspirant quelques bouffées de ma cigarette.

— Ce matin à six heures, me répondit le boucher à qui j’avais adressé la parole.

— Les auteurs de ce double crime sont-ils arrêtés ? Lui demandai-je encore.

— Non ; mais on ne tardera pas. Les gendarmes du département sont à leur poursuite.

— Combien étaient-ils ? demanda l’un des travailleurs de la terre.

— Trois, répondit le boucher.

Comme la conversation menaçait de s’éterniser sur ce terrain si je n’y mettais ordre, je consultais ma montre, puis je payai ma dépense en donnant une pièce de cinq francs à l’hôtesse.

Lorsqu’elle me rendit la monnaie, j’en profitai pour changer le cours de la conversation, en parlant « antiquailles ».

— Avec tout ça, vous ne m’avez pas montré votre souvenir de famille, dis-je aimablement à l’hôtesse. Et, si vous tardez, je ne pourrai satisfaire à votre désir ; il est 10 heures passés et il me faut être à Airaines pour le passage du train.

— Oh ! Vous avez largement le temps, me dit le bourreau des bêtes à cornes. Le train