Page:Jacob - Souvenirs d’un révolté.djvu/56

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grande loi du progrès !

Pendant le petit quart d’heure qu’il demeura à nos cotés, adossé à la table sur laquelle j’étais assis, je ne desserrai pas les dents. Ce qui ne l’empêcha pas d’écrire toutes sortes d’extravagances sur mon compte… Bigre ! La calomnie ne leur fait pas peur à ces branleurs de goupillons.

Il n’y avait pas cinq minutes que l’arlequin était parti que Boule de Suif entra en soufflant comme une baleine.

— Les deux autres sont arrêtés, dit-il à ses sous-ordres.

— Où ça ? Demandèrent-ils presque tous en même temps.

— À Picquigny.

Puis, tout en s’épongeant le front, il ajouta :

— Le procureur vient d’arriver avec l’automobile de Me Bignon. Mais son deuxième voyage n’a pas été aussi heureux que le premier.

— Alors c’est pas le procureur qui les a arrêtés ? Demanda un gendarme.

— Non ; ce sont les collègues, répondit Boule de Suif avec importance, façon de dire : « Crois-tu que nous avons besoin de ’pékins’ pour arrêter le monde ? »

— Puisque le procureur est là, dis-je au maréchal des logis, dites-lui donc que je demande un verre de lait ou un bol de bouillon. J’ai la gorge desséchée par la fièvre.

À l’instant, le procureur entrait dans la pièce à coté. Je l’entendais qui donnait des ordres.

— Allez demander au procureur si on peut lui porter du bouillon ou du lait, dit Boule de Suif à un gendarme.

Deux minutes après :

— Il a dit que vous boirez demain. Il n’a pas le temps, me dit le gendarme, au retour de sa mission.

Alors, chose à noter, les gendarmes qui me tenaient m’offrirent gracieusement du pain, des charcuteries, des viandes froides, ainsi que du vin, restant de leur déjeuner. Mais, j’étais loin d’avoir faim. J’aurais été bien en peine, je crois, s’il m’avait fallu avaler un morceau de pain ; je doute qu’il fût passé tant mon gosier était sec. Je les remerciai donc.