Page:Jacob - Souvenirs d’un révolté.djvu/60

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— C’est un fou, je ne le connais pas. Vous avez fait une boulette.

Les gendarmes se clignèrent de l’œil, les uns aux autres, comme pour se dire : « À d’autres ! ».

Boule de Suif, appelé par le capitaine, partit aussitôt sans souffler mot.

Le bouhaha causé par cette arrivée était assourdissant. Je profitai du moment de curiosité de chacun pour demander si Bour accompagnait réellement Pélissard.

— Combien y en a-t-il d’arrêtés ? Demandai-je à un gendarme.

— Un seul. Mais ce n’est qu’une question d’heures pour l’autre. On a cerné le bois dans lequel il s’est réfugié.

Le bois était si bien cerné que Bour réussit à en sortir et à cheminer jusqu’à Beauvais où il arriva deux jours après, les vêtements déchirés par les ronces et les épines des fourrés où il s’était tapi, et à moitié mort de faim.

Accomplir ce trajet sans prendre ni repos ni nourriture, on comprendra que ce fut un véritable tour de force. Dans cette ville, après s’être restauré, il alla s’acheter un chapeau mou ainsi qu’une blouse blanche, un balai en crin, et un broc à eau ; puis, muni de ce déguisement à la ménagère, il prit le train jusqu’à Creil, et de Creil à La Chapelle-Marcadet.

De là, il se rendit à mon domicile, rue Leibnitz où, malheureusement pour lui… et pour d’autres, une souricière était établie.

Grâce à la façon suspecte dont était rédigé le télégramme qu’il m’avait adressé d’Abbeville, et sur la réception duquel j’étais allé le rejoindre, le juge Hatté découvrit mon domicile trois jours après mon arrestation, et en avisa aussitôt la police parisienne.

Comme on le voit, en dépit de tous les coups d’encensoir que le médiocre Hamard [1] s’est fait adresser par la presse parisienne, l’arrestation de Bour n’est nullement son œuvre. En cela il fut ce qu’il a toujours été et ce qu’il sera toujours : un valet, un médiocre valet.

— Ainsi nous ne sommes que deux ? Moi et ce monsieur que je ne connais pas, dis-je au gendarme qui ne tenait la main droite.

  1. Chef de la sûreté parisienne qui voulut s’attribuer tout le mérite du démantèlement des « travailleurs de la nuit », dû, en fait, à un concours de circonstances et aux bavardages de lointains comparses de Jacob.