Page:Jacob - Souvenirs d’un révolté.djvu/65

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— Mais c’est pas de son argent qu’on te dit. C’est le conseil municipal qui va voter la somme.

— Fallait t’expliquer, fourneau !

Lentement, comme à regret, cinq heures sonnent à la pendule de l’auberge. Au dernier coup de timbre, un ouvrier à moitié gris entre en criant :

— Le v’là ! Le v’là !

Immédiatement, en désordre, les tables se vident et tous d’accourir sur la route, se heurtant, se bousculant pour sortir plus tôt.

Fausse nouvelle ! C’est un cultivateur en voiture qui vient de Pont-Rémy. Lorsqu’il est à cent mètres, n’apercevant ni gendarme ni prisonnier :

— Qu’est-ce que tu nous racontes là ? Espèce d’espèce ! Crie-t-on de toutes parts au porteur de la nouvelle.

Lui de se tenir coi…

Arrivé devant l’auberge, le cultivateur arrête un instant son cheval, puis s’adressant à ceux qu’il connaît :

— À cette heure, il y en a deux d’arrêtés.

— Va-t-on bientôt les emmener ? Lui demande-t-on de part et d’autre.

— Dans une heure, à ce que m’a dit un gendarme.

Et de bouche en bouche on se répète : « Un gendarme a dit dans une heure. » « Bon ! Ajoute-t-on, attendons. » Puis comme des moutons, tous rentrent, reprennent leur place et les uns sur la table, les autres sur les verres vides, en cognant :

— Hola ! Docheux ! Apporte encore une bistouille…

Même scène aux abords de la gare. On bistouillait… on bistouillait…

Le soir, à la nuit, ceux de la route, de la ville… d’un peu partout, prévenus de mon arrivée en chemin de fer, vinrent aussitôt grandir le nombre de ceux qui étaient à la gare. Plus tard, après la sortie des usines et des ateliers, tous ceux qui étaient demeurés à leur ouvrage vinrent à leur tour grossir le flot populaire. Et, avec une patience de hanneton, tout ce monde attendit notre conduite à la prison qui n’eut lieu qu’à neuf heures et demie.

Pendant cette attente on bistouillait encore… on bistouillait toujours. Les verres se vidaient, les têtes s’échauffaient, la raison fuyait… les mastroquets et l’État s’enrichissaient et enfin de temps en temps, comme une machine trop pleine de vapeur