Page:Jacob - Souvenirs d’un révolté.djvu/70

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malin, et surtout ne l’oublions pas ! Honnête : au lieu de faire banqueroute, il liquide dans les formes prévues par la loi et empoche un million. C’est un honnête homme. Un pauvre bougre qui, poussé par le besoin, commet un acte de révolte, en cambriolant dix francs à un riche, avec les circonstances aggravantes, est condamné aux travaux forcés, au bagne. C’est un bandit. À l’un les plaisirs, la richesse et le pouvoir. À l’autre la souffrance, la misère et l’infamie. Bien plus. L’honnête homme peut-être nommé juré et envoyer au bagne le bandit. Quelle belle justice ! Ô égalité des égalités !

— Mais voyons ; il faut des lois pourtant, m’interrompit M. Callet qui n’avait encore rien dit jusque là. Sans lois il n’y a pas de société possible.

— Oui ! Une société comme la vôtre composée de coquins et d’imbéciles : je suis de votre avis. Comme je viens de vous le dire, je comprends que les uns aient besoin de la loi pour opprimer les autres. La loi est leur sauvegarde. Mais pour moi qui ne suis ni maître ni valet, ni fripon ni dupe, mais un révolté qui sait voir clair dans les ténébreux rouages de votre société, pour moi, dis-je, la loi n’est qu’une peste, qu’un choléra ; et bien loin de la respecter, je la combats comme l’on combat la peste, comme l’on combat le choléra : par tous les moyens, même les plus violents.

— Malheureusement, c’est ce que vous avez fait, me dit M. Callet en se frisant les moustaches… Je dis malheureusement pour vos victimes, reprit-il aussitôt en scandant sur chaque mot et en accompagnant sa phrase d’un battement de mesure avec son doigt, comme un chef d’orchestre en pénurie de baguette.

— Ceux que vous appelez mes victimes n’avaient qu’à ne pas venir m’attaquer. Défenseurs de la propriété, chiens de garde des riches, ils sont venus après mes trousses et pour me défendre il m’a fallu les tuer. Tant pis pour eux. Ce sont des imbéciles.

Un « Ho ! » d’indignation s’échappa de la plupart de ces honnêtes lèvres comme pour dire : « Quel monstre ! »

— Dites des héros, me répliqua le député. Arrêter un homme de votre acabit, ce n’est pas de l’imbécillité, mais de l’héroïsme.

— Dites plutôt de l’asinisme.

— Comment ?

— De l’a-si-ni-sme, répétai-je en appuyant sur chaque syllabe.

Ma cigarette s’étant éteinte, je me levai et allai vers Me Ternois le prier de me donner du feu. Puis, après l’avoir rallumée, je regagnai ma place et repris :

— Ce néologisme métaphorique à l’air de vous surprendre, dirait-on ?