Page:Jacob - Souvenirs d’un révolté.djvu/77

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— J’ai une nouvelle objection à vous faire, me dit l’avocat toujours souriant. Vous venez de dire que vous usiez de tous les moyens. Ainsi la prostitution ?…

— Oui, en effet ; votre objection n’est pas dénuée de fondement. « Tous les moyens me sont bons » est une phrase, qui prise à la lettre, serait indigne par ses résultats ; car, par tous les moyens on peut entendre la tromperie, la délation, la trahison et dans un autre ordre d’idées l’escroquerie( ?), la prostitution, etc. Aussi, afin qu’il n’y ait par d’équivoques je dirais : j’use de tous les moyens ne répugnant pas à mon caractère, à mes goûts. Or mon caractère est droit et mes goûts sont d’aimer tout ce qui est beau, tout ce qui est juste ; de sorte que je réprouve aussi bien la tromperie, la délation, la trahison et l’escroquerie que la prostitution ; car, loin d’être juste, d’être belle, la prostitution est sale, hideuse : c’est un champignon né sur le fumier de votre société.

À ces mots la discussion prit fin. La porte s’ouvrit et le capitaine de gendarmerie vint commander à ses sous-ordres de m’emmener. Il marcha en tête. Nous n’allâmes pas bien loin, à quelques pas de là, dans le bureau de M. Challet, je crois. C’était pour me faire subir le premier interrogatoire. Là se trouvait réunis une bande d’individus à mines sinistres et suspectes. De prime abord, je fus peu rassuré. Oubliant que j’avais été fouillé et que tout ce que je possédais m’avais été saisi, d’instinct, je portais mes mains aux poches. À voire l’élégance et le confortable de leur accoutrement, leur physionomie patibulaire, mais pleine de santé, on devinait de ces sortes de gens qui font profession de vivre au dépend des travailleurs.

C’était : M. le procureur, son chien M. le substitut, M. le maire dit Shylock, M. le juge d’instruction et son greffier, M. de-ci, M. de-là ; puis un tas de larbins à ne pouvoir s’en faire une idée : des gendarmes, des flics, des employés de la gare, de l’octroi, de la douane, de la mairie, de la sous-préfecture, voire même ceux des pompes funèbres. Les uns étaient assis, les autres debout. Seule le juge d’instruction se promenait devant la table où était assis son aimable greffier, à grandes enjambées, comme un homme qui subit quarante degrés de fièvre. Dès que la porte se fut refermé sur moi :

— Veuillez me dire votre état civil, me dit-il tout en continuant d’arpenter le bureau.

La fièvre ! Vous dis-je…

Certes, photographié, mensuré dans plusieurs villes de France, même à l’extérieur, j’étais sûr que l’on découvrirait qui j’étais ; aussi me donnai-je le faux nom que je portais alors pour que l’on ignorât mon véritable nom pendant les quelques jours que dureraient les recherches afin que je puisse combiner et exécuter une évasion. C’